TENTATIVE DE DÉFINITION

DU CONSOMMATEUR-TYPE DE PORNOGRAPHIE

 

 

La pornographie est aujourd'hui devenue une industrie de consommation de masse. Mais peut-on définir un consommateur-type de pornographie?

 

L'image d'Epinal de la pornographie la représente comme un produit destiné aux frustrés, aux étudiants et aux célibataires. Mais ce cliché, s'il a pu avoir cours à une certaine époque, ne s'observe absolument plus aujourd'hui. L'essor des revues pornographiques, de la VHS, du DVD et enfin la généralisation d'Internet, a permis au porno de rentrer au sein de tous les foyers, indistinctement des milieux et des différentes classes sociales.

 

Très difficile donc de définir un portrait-type de l'afficionado de pornographie. Au mieux, peut-on esquisser des tendances, des lignes convergentes dans les comportements des consommateurs. La seule donnée véritablement tranchée concerne le genre du consommateur: l'homo porno est majoritairement de sexe masculin. Comment expliquer un tel engouement des hommes pour le porno, tandis qu'il n'intéresse qu'une minorité de femmes ?

 

I. TENTATIVE DE DÉFINITION DU CONSOMMATEUR- TYPE DE PORNOGRAPHIE

 

A. Le consommateur est plus volontiers un homme qu'une femme

 

Le consommateur est le plus souvent un homme...

 

Il s'agit donc du seul point sur lequel on puisse dégager une tendance nette: le consommateur de porno est avant tout et surtout un homme, ce que confirme l'intégralité des étude menées sur le sujet depuis plus de 25 ans.

- En 1989, une première étude établissait que 75% des consommateurs canadiens, étaient de sexe masculin (A)

- Selon une autre étude faite en 1990, un homme sur deux regardait ou avait alors regardé de la pornographie, contre une femme sur cinq (B). En considérant qu'il y a autant d'hommes que de femmes par tranche d'âge (ce qui est a peu près le cas pour les 20-60 ans), on peut déduire que 71,4% des amateurs de pornographie étaient des hommes. Dommage cependant que l'étude ne fasse pas ici de disinction entre les utilisations régulières et les expositions occasionnelles ou accidentielles.

- En 1995, l'essayiste Fulvio Caccia citait une étude américaine de la Matrix Information and Directory, portant sur l'utilisation faite de 1500 serveurs informatiques et sur les habitudes de surf en ligne de plus de 130 000 personnes sondées, et qui aboutissait à 64% d'utilisateurs pour 36% d'utilisatrices - l'étude concluant à l'augmentation probable à terme de la consommation féminine (C)

- En 2004, Frédéric Ploton avançait que "90% des acheteurs de supports pornographiques (...) sont des hommes", et estimait que"trois hommes sur cinq" (D) sont des consommateurs de pornographie. Frédéric Ploton confirme la masculinité du public qui consomme, mais également ici du public achetant.

- Citant des chiffres de 2004, le magazine Sciences Humaines, en août-septembre 2005 estime qu'il y a 80,3% d'hommes chez les amateurs de X (E)

 

En 2008, Elizabeth Weissman dénotait une tendance à l'augmentation de la consommation de pornographie par les femmes, et constate que la consommation augmente avec l'âge: "16,9% des filles entre 18 et 29 ans" (...) 23,1% des femmes entre 30 et 49 ans". Cet étonnant lien entre consommation et âge ne s'observe pas chez les garçons: 56,6% des hommes entre 18 et 29 ans consomme du porno, pour une valeur quasi égale de 57,7% pour les 30-49 ans.

Ainsi, l'accès à la pornographie semble plus tardif chez les filles, ce qui confirme que pour les jeunes garçons, le porno s'invite plus facilement dans la construction de leur identité sexuelle.

 

Enfin, une étude de 2014 réalisée par l'IFOP consacrée à l'usage de la pornographie en ligne (F) démontrait que 24% des Français consultent régulièrement (soit au moins une fois par semaine) des sites pornographiques, à raison de 33% des hommes et 6% des femmes. En tenant compte de la répartition par âge et par sexe des 18-69 ans en France en 2014 (G), il peut être calculé que 84,18% des amateurs de sites pornos sont des hommes, et 15,82% des femmes. L'étude démontre également que la consommation des hommes hétérosexuels chute à 41% quand ils sont en couple, tandis que la consommation des femmes hétérosexuelles triple lorsqu'elles sont engagées dans une relation: être en couple est donc un facteur de consommation favorisant pour les femmes, mais désincitatif pour les hommes.

 

La consommation de pornographie reste donc majoritairement une affaire d'hommes, même s'il semble que cette dernière séduise plus les femmes qu'auparavant.

Rappelons que la pornographie, pour près de 99,99%, est conçue afin d'exciter les hommes... maintenant, la pornographie est-elle prisée des hommes parce qu'elle leur parle, ou la pornographie parle-t-elle aux hommes parce qu'il la sollicite ? Quelque part entre les deux, sûrement.

 

... mais tous les hommes ne consomment pas de pornographie !

 

C'est LE poncif le plus répandu à l'égard de la pornographie: l'idée selon laquelle TOUS les hommes seraient des consommateurs de porno plus ou moins réguliers.

Pourtant, si l'on retourne les chiffres cités aux paragraphes précédents, on s'aperçoit qu'une part finalement non négligeable d'hommes n'a pas de contact récurrent avec la pornographie: un tiers des hommes dans l'étude canadienne de 1985 (A), un homme sur deux selon l'étude de 1990 (B) , deux hommes sur cinq pour Frédéric Ploton (D), 43 à 44% pour Elizabeth Weissmann (J). Selon l'étude IFOP de 2014, 21% des hommes ne se sont jamais rendus sur un site pornographique; 44% des hommes n'ont consulté aucun site pornographique durant les trois derniers mois (F).

 

Ce qui représente, tout de même, de 33% à 44% des hommes ne consommant pas de pornographie!

 

Il faut comprendre que les pornocrates ont tout intérêt à ce qu'on l'on croit que la pornographie est consommée de façon régulière par tous les hommes. Cela lui permet d'asseoir la pornographie comme une norme, et donc d'inciter les hommes récalcitrants à en consommer au nom de la "normalité" du produit, du "besoin" soulagé par sa consommation. Les femmes, quant à elles, sont invitées par le même processus à tempérer leurs indignations face à la consommation de leurs compagnons; puisque tous les hommes en consomment, puisqu'il s'agirait d'un besoin pour eux, il serait donc déplacé de s'indigner de leur consommation... Et voilà comment consommer du porno devient "normal", et comment ceux et celles qui osent encore développer un esprit critique sur la question, sont bientôt suspectés d'être de vilains réactionnaires...

 

Bien entendu, consommer du porno n' a rien de "normal". L'espèce humaine a parfaitement réussi à traverser les millénaires sans disposer de photos et de vidéos pornos pour s'exciter. Il est aisé de répondre qu'il y a de la pornographie, sous une forme ou sous une autre, depuis aussi longtemps qu'il y a des hommes. Mais jamais, jamais, elle n'avait connu une tel processus de diffusion de masse, ni une telle crudité dans ses représentations.

 

B. Quel âge a le consommateur-type de pornographie ?

 

En préalable, rappelons que les études qui s'intéressent à l'âge moyen du consommateur de pornographie excluent généralement les mineurs de leur calcul, essentiellement pour des contraintes légales.

 

Il existe bien des études qui s'intéressent à la consommation de pornographie chez les adolescents, mais elles sont précisémment dédiées à ce public à part, et le plus souvent axées sur le thème des effets sur la sexualité. Les travaux sont inexistants pour la consommation en-dessous de l'âge de 12 ans. Les études existantes traitent donc généralement d'une cible âgée de 18 à 69 ans, ce qui fausse quelque peu les données, les 12-18 ans constituant une partie vraisembablement non négligeable des consommateurs réguliers de pornographie.

 

Les données recueillies au cours des années 90 et au début des années 2000 établissaient que le consommateur de pornographie était âgé, en moyenne, d'une trentaine d'années. Un âge relativement bas qui s'expliquait principalement par deux phénomènes:

- l'explosion du porno gratuit sur Internet à partir des années 2000 a clairement mis le X à la portée des plus jeunes (et des budgets les plus modestes), tandis que les générations précédentes, devant se contenter des magazines ou du film de Canal +, devaient passer par des démarches beaucoup plus volontaires pour accéder à de la pornographie en quantité;

- la banalisation de l'accès Internet domestique: la part de connectés diminuait au fur et à mesure que l'on grimpait les étages de la pyramide des âges: les soixantenaires (et plus) étaient moins connectés, donc moins exposés à la pornographie en ligne, Internet étant rappelons-le le premier vecteur de diffusion de la pornographie.

 

Mais passé 2010, la part des non-connectés a nettement reculé dans l'ensemble des classes d'âges, et les nouveaux soixantenaires, cinquantenaires de la veille, sont beaucoup plus familiers d'Internet, donc beaucoup plus exposés et consommateurs de pornographie que leurs aieux; certes les actuelles jeunes générations, presque nées dans un monde déjà connecté, sont toujours davantage consommatrices de pornographie mais les écarts se réduisent. L'étude IFOP de 2014 constatait ainsi que 33% des 18-24 ans étaient des consommateurs réguliers, mais aussi 19% des 25-34 ans, 21% des 34-49 ans et 12% des 50-69 ans (F). L'âge moyen du consommateur doit donc vraisemblablement se situer aujoud'hui autour de la quarantaine, mais cette moyenne n'est pas réellement révélatrice d'une tendance. Ce qui est plus intéressant est en fait de constater que la consommation régulière de pornographie s'arrête rarement en vieillissant: consommer du porno n'est pas (ou plus) un "truc de jeunes", mais bien une habitude de consommation persistante.

 

 

C. Le consommateur n'est pas particulièrement en situation de frustration sexuelle

 

Contrairement à ce qu'affirme le poncif, la pornographie ne s'adresse pas plus particulièrement aux personnes en situation de misère sexuelle. Certes, on trouve des consommateurs de pornographie chez les célibataires, les personnes en état de frustration sexuelle, mais on en trouve tout autant chez les couples stables ayant des relations sexuelles régulières et épanouies. Déjà, en 1990, l'INSERM constatait que les consommateurs de pornographie avaient plus de neuf rapports par mois, un chiffre au-dessus de la moyenne nationale des sondés; eux-même se considéraient comme ayant des besoins sexuels "plus importants que leur voisinage" (B)

 

Comme le rappelle Patrick Baudry, "la sexualité d'images n'est pas qu'une sexualité de remplacement, les consommateurs de revues ou de films ne sont pas les masturbateurs invétérés et autistes que l'on peut imaginer (...) il suffit pour s'en convaincre de fréquenter les boutiques (...) ou les sex-shops (...) les jeunes ou vieux célibataires ne constituent pas leur clientèle exclusive. Des personnes venues en couple, des femmes, des dames "âgées" se laissent conseiller (...) (H)

 

La pornographie parle à notre subsconscient, à nos pulsions, à cette partie de nous qui est restée animale. Il est donc tout à fait normal de trouver excitant le programme pornographique, a fortiori quand on en possède pas les clés de sa lecture. Cette excitation sera la même chez le célibataire, le frustré ou la personne ayant une vie sexuelle épanouie. Ce qui est anormal, ce n'est pas d'être titillé par le porno, mais bien d'en devenir dépendant !

 

La différence d'intensité dans la consommation se joue en fait sur des critères bien autre que la seule satisfaction sexuelle du consommateur: la facilité à accéder à du contenu pornographique, la présence de temps libre, l'existence d'un conjoint sous le même toit, d'éventuelles considérations morales ou religieuses à l'égard de la pornographie, etc.

 

Je tiens également à rappeler que le premier contact avec la pornographie, se fait souvent à l'adolescence, et résulte dans la plupart des cas d'une simple curiosité pour la sexualité. On peut donc parfaitement tomber dans la pornographie sans avoir au préalable un quelconque malêtre intérieur. Mais c'est lorsque la curiosité initiale laisse place à la consommation régulière, que le malêtre se crée: le dépendant va peu à peu délaisser la sexualité relationnelle ou sa recherche, au profit de la seule masturbation. La pornographie ne prend donc pas source dans la misère sexuelle, mais participe bien au contraire à son entretien.

 

D. Il n'y a pas de catégorie socio-professionnelle où la consommation de pornographie serait plus élevée

 

Parfois, il est entendu que la consommation de pornographie serait moins intense, au fur et à mesure que le niveau d'instruction des individus qui en consomme augmente. Le porno serait donc en quelque sorte le "loisir de l'abrutissement", une distraction bas de gamme. Cette idée, outre son évidente dimension rassurante ("mon niveau d'études me protége du piège du porno"), est souvent défendue par les partisans de "l'érotisme" qui souhaite se démarquer des consommateurs de pornographie, en donnant à l'objet de leur propre consommation un caractère plus précieux.

 

Pourtant, aucune étude n'a démontré une consommation de pornographie plus importante dans les catégories socio-professionnelles moins favorisées - ni le contraire d'ailleurs.

 

En 1971, une étude américaine décrivait les consommateurs comme étant "plus instruits, citadins (...) plus actifs socialement" (I). Dans l'étude de 1990, les consommateurs sont "majoritairement urbains, employés, ouvriers, étudiants plutôt que cadres" (B)

 

Les travaux menés par Nathalie Bajos et Michel Bozon aboutissent quand à eux à une très grande diversité des profils de consommateurs: "49% des hommes exerçant des professions intellectuelles et libérales, contre 57% des ouvriers, 59% des agriculteurs, 64% des employés de bureau" (J)


Coralie Trin Thi, ex-actrice pornographique, constatait cette même variété dans son ancien public: "Il n'y a pas de fan typique. Les militaires qui partent en service... Les gens dans une misère (...) Des étudiants, des médecins, des ouvriers, des smicards, des photographes... La plupart sont des types complètement normaux." (K)

 

L'appartenance à aucun milieu social donné, ne peut donc expliquer la consommation de pornographie. Le porno transcende les catégories socio-professionnelles. Cela est favorisé par l'essor du porno sur Internet, média dont l'accès est aujourd'hui possible pour tous les milieux et toutes les classes sociales. Au plus , observe-t-on en comparant les études de 1971, 1990 et 2008, un phénomène de rattrapage de la consommation de pornographie par les classes moins aisées.

 

II. POURQUOI LES HOMMES ET LES FEMMES NE RESSENTENT-ILS PAS LA MÊME EXCITATION FACE AU CONTENU PORNOGRAPHIQUE ?

 

Les différentes études réalisées ne démontrent pas seulement l'engouement masculin pour le X, mais également le désintérêt notable de la majorité des femmes pour la pornographie.

En 1995, Fulvio Caccia affirmait que "seulement 29% des Françaises déclarent avoir vu ou acheté un film X" (R). Pour Patrick Baudry, "23% des femmes âgées de 18 et 69 ans sont spectatrices de films X". Etudiant alors la clientèle des cassettes pornographiques, Patrick Baudry affirmait que "38% de la clientèle de ventes de cassettes pornographiques, sont des femmes (H)

Xavier Deleu cite en 2002 des chiffres de consommation féminine encore moins élevés, à savoir "15% de femmes" qui "se déclareraient spectatrices régulières de films ou de spectacles pornographiques" (L).

 

On pourrait simplement expliquer la différence de consommation de pornographie entre hommes et femmes, par une différence d'exposition. Cependant, rien n'indique qu'accéder à la pornographie soit plus difficile pour les femmes que pour les hommes. Les filles ne sont pas non plus mieux protégées de l'exposition involontaire au X que les garçons, les deux sexes utilisant les mêmes médias.

 

C'est donc plutôt du côté de la puissance de l'attrait qu'il faut rechercher; pourquoi le porno ne convainc-il pas la majorité des femmes, alors qu'il séduit la majorité des hommes?

 

A. Parce que la part majeure de la pornographie n'a pas été conçue pour parler aux femmes

 

« Un homme ça marche tout seul, vous lui collez sous le nez un corps féminin avec des bas noirs, des jarretelles, ou un torse, des fesses, etc… et ça marche » (M)


La pornographie contemporaine donne la part belle à une certaine idée de la sexualité, à laquelle sont accolés des concepts de virilité, de puissance, de soumission de la femme. Le sexe y est démonstratif, bruyant, sportif, exubérant.

Cette sexualité très visuelle parle plus particulièrement aux hommes qu’aux femmes, desquelles on présume qu'elles accordent une part plus importante à la dimension cérébrale de la relation sexuelle. Ainsi, l’ambiance, les jeux de séduction, l'installation d’un contexte (présentation, même sommaire, des personnages et des relations qui les unissent) favoriseraient la montée de l’excitation féminine devant un film porno. Or, la pornographie est totalement incapable de représenter l'excitation sexuelle dans toute sa complexité; elle se contente donc d'une débauche d'effets visuels faciles, artifices auxquels les hommes seraient plus facilement sensibles.

 

Bien entendu, il s’agit d’un principe général, et non d’une norme! Tout comme les hommes peuvent avoir une excitation cérébrale plus affirmée, les femmes peuvent très bien être excitées par des seuls éléments visuels. Il s'agit ici encore une fois dégager une tendance.

 

 

ANALYSE PAR DES FEMMES DE LEUR EXCITATION FACE À DE LA PORNOGRAPHIE

 

- « Dans les films de catégorie X, généralement pas d’histoire (ou alors si misérable), ce qu’elles déplorent, c’est qu’il n’y a pas de possibilité d’identification. Si c’était plus inséré dans le quotidien, les femmes accepteraient mieux » (N)

 

- « Catherine (….) Mes fantasmes tournent autour des caresses, souvent entre femmes. Attouchements, strip-tease… Je suis moins sensible à la vue qu’aux odeurs ou au toucher (...) Je préfère le sous-entendu. Les films où on ne voit pas les gens faire l’amour, mais où on sent que ça va se passer. Voilà une chose qui m’excite » (N).

 

- 'Les femmes souhaitent des spectacles plus divers, plus renouvelés, plus sensuels, plus appropriés à ce qui les excitent, elles (…) L’excitation ne peut pas provenir d’une partie du corps. Et il faut un contexte sentimental » (M)

 

 

Or, la pornographie est parfaitement incapable de représenter toute l’ampleur du trouble lié à la cérébralité de l'excitation. Elle ne le tente d’ailleurs généralement pas, préférant la facilité des images en gros plans gynécologiques. La pornographie est donc à ce titre fort peu capable de rallier à sa cause une majorité de femmes. « Invitées à regarder un film porno ou à feuiller un magasine hard, elles [les femmes] les considèrent vulgaires, ennuyeux ou comiques » analysent Jean-Claude Matysiak et Odile de Sauverzac (O).

 

Xavier DELEU estime quant à lui que les femmes sont bien attirées par une forme de pornographie, mais qui n'est pas celle de la passivité du visionnage des films X. Selon Xavier Deleu, les consommatrices de porno font un recours appuyé aux chats érotiques à visée masturbatoire. Il y aurait donc chez elles une plus forte tendance à l’exhibitionnisme que chez les hommes. Deux facteurs peuvent expliquer cela :

- le discours pornographique, qu'intériorise ses consommateurs réguliers, est entre autre celui de l'exhibition du corps des femmes. Tandis que les hommes attendront des femmes du porno qu'elles se livrent complètement à leur regard, les consommatrices auront plus facilement recours à l'exhibitionnisme. Au-delà des chats et des webcams, il existe même des sites dédiés à l'exhibition d'amatrices, invitées à poster des vidéos d’elles-mêmes en pleine séance masturbatoire ou en plein acte sexuel.

- une femme qui souhaite s'exhiber sur le Net, n'aura aucun mal à trouver un public masculin prêt à la regarder. Sur les espaces de webcams érotiques, le nombre d'hommes est beaucoup, beaucoup plus élevé que le nombre des femmes.

 

B. Parce que les femmes peuvent se sentir insultées par l'image que renvoie la pornographie de leur propre corps

 

« Mme B… a soixante sept ans (…) Si les images pornos me choquent tant, c’est parce qu’elles sont laides et que ça me gêne de voir les femmes ainsi utilisées » (M)

 

Si les hommes vont logiquement s’imaginer à la place des acteurs, les femmes se projetteront sur les actrices. Or, dans l'écrasante majorité du contenu pornographique, le corps des femmes se doit d'être perpétuellement à la disposition, à la merci même, de l'appétit sexuel des hommes. Il est exigé des personnages féminins de la docilité, ainsi qu'une disponibilité sexuelle permanente.

 

Ces images de femmes-trous, écervelées poupées gonflables numériques, sont clairement offensantes pour les femmes. Et qui peut apprécier de se sentir agressé(F) par un film ? Personne. Logique donc, que la pornographie contemporaine provoque dégoût, consternation et condamnation d'une large part du public féminin. Elles y voient beaucoup plus rapidement que les hommes toute la violence et le sexisme qui se dissimulent derrière ce triste ballet des corps lassés qui s'enlacent.

 

Loin d’être une question d’évolution de mœurs, ce dégoût des femmes a de nouveau été démontré auprès d'un public d’adolescentes interrogées par Michela Marzano et Claude Rozier en 2005. La pornographie grand public n'a jamais parlé aux femmes, qu'elle considère avec distance ou mépris.

 

C. Parce que les inhibitions sociales des femmes continueraient à restreindre leur "capacité" à être excitées par la pornographie

 

Quand il a constaté une différence d’excitation entre les hommes et les femmes devant la pornographie, le psychanalyste Gérard Bonnet (P) a proposé de l’expliquer par un reliquat d'inhibitions sociales toujours intériorisées par les femmes, quant aux questions de sexualité.

 

Notre société reconnaît plus facilement aux hommes un intérêt prononcé pour le sexe, qu’elle ne le fait pour les femmes. Il est ainsi fréquemment entendu que les hommes "ne pensent volontiers à ça" , et surtout beaucoup plus souvent que les femmes. Une femme qui confesse un goût certain pour la sexualité et qui multiplierait les partenaires, sera rapidement qualifiée de « nympho » ou de « salope », termes clairement dépréciatifs ; tandis que pour un homme, on parlera alors de "tombeur", de "collectionneur", d'homme à femmes"; mais jamais de "nymphomane". Quant aux termes "salop" ou "salaud", ils ne recouvrent pas en langue française la même dimension sexuelle que le terme "salope".

 

Pourquoi une telle différence de traitement entre les genres? Parce que notre société aime souvent dire que les femmes lient de manière plus étroite que les hommes, la sexualité et l'amour; quand l'homme coucherait, la femme elle, aimerait. Mais quel stéréotype! Cette manière d'enchaîner la sexualité des femmes à leur présumée nécessité d'avoir des sentiments pour leur partenaire, est une façon de s'assurer que la sexualité des femmes ne déborde pas du cadre de la monogamie. Car encore et toujours, une femme qui assume plusieurs amants successifs ou en alternance, reste "suspecte"; elle sort de ce qui devrait être "son rôle traditionnel" de compagne monogame exclusive.

 

L’intégration de ces clichés dans le subconscient collectif féminin expliquerait donc chez ces dernières une méfiance, sinon une indifférence marquée pour le spectacle pornographique, qui glorifie justement le rejet du couple, la sexualité polygame, l'indifférence aux sentiments.

 

D. Parce qu'homme et femmes différeraient dans leur approche de la masturbation

 

L'écrivaine Virginie Despentes avance une hypothèse originale dans King Kong Theorie, en 2006 (Q). Elle explique la différence de conception de la pornographie des deux genres, par une approche différente de la masturbation.

 

Pour Virginie Despentes, les hommes ont un rapport très individuel à leur propre masturbation. Il s’agit d’une pratique qu’ils n’inclueraient que rarement dans les jeux sexuels avec leur partenaire. Les hommes vivent la masturbation de manière très individuelle ; les hommes en couple la considèrent souvent comme un palliatif à l'indisponibilté (temporaire ou longue) du corps d'un partenaire. Les hommes se masturbent souvent de manière hâtive, comme s'il s'agissait surtout d'évacuer un besoin physique, plus que de prendre le temps d'apprécier son propre plaisir.

Les femmes, elles, auraient un rapport plus complexe à la masturbation. Les épisodes masturbatoires seraient plus volontiers intégrés dans les rapports sexuels, et pratiqués plus rarement de manière individuelle. Lorsque les femmes se masturbent seules, elles s'accorderaient plus volontiers du temps pour le faire que les hommes.

 

Or, la pornographie appelle à la masturbation compulsive de son spectateur. La masturbation est en effet le mode d’apaisement à l’excitation provoquée par le porno. Le porno n'invite pas à prendre son temps pour se masturber, mais bien juste à se soulager le plus rapidement possible. Une conception de la masturbation beaucoup plus proche de l'approche masculine que de la vision féminine.

 

E. Parce que les femmes ne consommeraient pas forcément du porno pour leur propre plaisir

 

Une part non négligeable de la consommation de pornographie par les femmes ne se ferait pas pour leur propre plaisir. Ainsi, les filles regarderaient surtout du porno dans le cadre de leurs relations sexuelles avec leur conjoint, ou de manière épisodique afin de prendre connaissance de ce qui plaît aux garçons. Dans les deux cas, les femmes ne cherchent pas ici leur propre excitation dans le porno, mais à comprendre et entretenir celle de leurs compagnons. Ainsi, les sociologues Michela Marzano et Claude Rozier, qui ont travaillé auprès du public adolescent, relatent que les jeunes filles affirment souvent avoir « regardé des films X par accident, ou parce qu’entraînées par des copains » (R)

 

La réciproque n’est cependant pas observée. Si des hommes déclarent parfois rechercher dans le porno des sortes de "conseils techniques », il s’agit généralement de visionnages effectués à l'adolescence, à un âge où les mystères de la sexualité ne sont pas encore connus. Il s'agit alors plus pour les jeunes garçons, de se rassurer sur leur connaissance des moyens et des méthodes nécessaires pour "assurer" le moment venu - cette soif d'apprentissage débutant souvent avant même les premières relations sexuelles .

 

AFREG. 2ème version de l'article - février 2019.

 

Citations:

 

A. Sourcebook on Pornography, Osanka et Johann, 1989.

B. Enquête nationale sur les comportements sexuels des Français, Inserm, 1990, cité par Frédéric Joignot dans Gang Bang, enquête sur la pornographie de la démolition, Editions Seuil, Non Conforme, janvier 2007.

C. Cybersexe, Les connections dangereuses, par Fulvio Caccia, Editions Arléa, octobre 2005.

D. Peut-on apprendre la sexualité avec les films X? Les éditions de l'Hèbe, Collection La Question, Frédéric Ploton, octobre 2004.

E. La sexualité est-elle libérée? Dossier paru dans le magazine Sciences Humaines n°163, août-septembre 2005.

F. Les pratiques et les usages des Français en matière de pornographie / Enquête sur la consommation de films X sur Internet, IFOP pour Tukif.com, 14 avril 2014. Librement téléchargeable ici.

G. Données de l'INED, Institut National d'Etudes Démographiques, Population par sexe et âge au 1er janvier, 2020.

H. La pornographie et ses images, par Patrick Baudry, Editions Armand Collin, 1997.

I. L'Obscénité et la pornographie, Extrait du rapport de la commission U.S., 1971, Union Générale d'Editions, collection 10/18.
J. Enquête sur la sexualité en France, Nathalie Bajos et Michel Bozon, citées par La nouvelle guerre du sexe, Elisabeth Weissman, Stock Les Documents, 2008
K. Porno Manifesto, par Ovidie, Editions La Musardine, Collection Lectures amoureuses, 2004.

L. Le concensus pornographique, par Xavier Deleu, 2002.
M. Les femmes, la pornorgraphie, l'érotisme, Marie-Françoise Hans et Gilles Lapouche, Editions du Seuil, Points actuels, 1978

N. Les enfants face aux écrans: pornographie la vraie violence, Jacques Henno, Editions SW-Télémaque, 2004.

O. Tendance SM, Essai sur la représentation du Tamagotchi au cybersexe, Entretiens avec Jean-Claude Matysiak et Odile de Sauverzac, Editions Pascal, Enquête, 2006.
P. Défi à la pudeur : quand la pornographie devient l’initiation sexuelle des jeunes, par Gérard Bonnet, 2003.

Q. King Kong Théorie, par Virginie Despentes, Grasset, 2006.

R. Alice au pays du porno ; Ados : leurs nouveaux imaginaires sexuels. Par Michela Marzano et Claude Rozier, Editions Ramsay, Questions de familles, 2005.

 

 

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