ABORDER LA QUESTION DE LA PORNOGRAPHIE AVEC UN ADOLESCENT

 

 

 

Le premier contact avec la pornographie s'établit généralement vers l'âge de 11 ans (A). Il va s'agir le plus souvent d'une exposition non sollicitée: une scène vue à la télévision au détour d'un changement de chaîne, l'ouverture d'une fenêtre non-sollicitée sur Internet, la découverte du contenu détenu par un adulte ou un enfant plus grand de la maison, etc.

 

L’âge de la première recherche volontaire de pornographie, qu’il s’agisse d’un film ou d’un site Internet, se situe autour de 14 ans et demi (B). Il s’agit d’une moyenne, intégrant donc des visionnages volontaires avant même l’âge de 11 ans. Dans le même temps, l’âge moyen du premier rapport sexuel est stable depuis plusieurs années, aux alentours de 17,0 ans pour les garçons et 17,6 ans pour les filles (C). L'exposition à la pornographie commence donc bien avant l'éveil à la sexualité.

 

Cette dernière est clairement sortie du ghetto dans lequel elle se trouvait avant les années 90. Les actrices porno parlent désormais de leur métier dans les émissions télévisées, commercialisent des lignes de vêtements. La promotion pour les magasines porno est effectuée en devanture des tabacs presse. Des films comme Larry Flint (d'Oliver Stone), Boogie Nights (de Paul Thomas Anderson) ou des séries comme The Deuce (de James Franco) rendent un hommage amoureux à l'univers de la pornographie - même si le regard transi s'arrête à ce qu'était le porno au siècle dernier; le porno actuel étant si peu aimable!

 

Les adolescents des années 2010 n'ont pas échappé au contact avec la pornographie; il en sera de même pour ceux des années 2020. Elle "accompagne" les jeunes dans la recherche de leur identité sexuelle. Elle fait partie de leur univers, au même titre que leur musique, leurs youtubeurs, leurs stars de cinéma ou leurs humoristes.

 

Inutile d'espérer que, par on ne sait quelle magie, votre adolescent sera un « miraculé du système ». Votre enfant est sans doute quelqu’un de formidable, mais il n'échappera pas aux normes de sa génération. C'est une réalité malheureuse à laquelle il ne faut pas se résigner, mais qu'il ne faut pas ignorer non plus.

 

I. RAPPEL: LES RISQUES DE LA CONSOMMATION DE PORNOGRAPHIE SUR LES ADOLESCENTS

 

A. Les effets de la pornographie sur la construction de la sexualité

 

La sexualité est synonyme de questionnements et d’angoisses pour l'adolescent, et la pornographie, a première vue, semblerait pouvoir 'y répondre. Mais les adolescents n'ont pas encore le vécu nécessaire pour comprendre que ce qu’ils voient n’est qu’une mise en scène grotesque et stéréotypée de la sexualité. Sans repères pour contrebalancer ce qu'il regarde, l’adolescent pourrait bien malgré lui faire de la pornographie l'unique modèle de construction de sa sexualité : c’est l’intériorisation du discours pornographique.

 

Les principales idées de ce discours sont, rappelons-le :

1) que la sexualité serait strictement une affaire de domination d’un corps et d'un individu sur l’autre. Le porno exclue toute forme de représentation de l’amour ou même simplement de la tendresse, alors que c’est par le prisme des sentiments naissants que les adolescents entrent dans la sexualité. C’est grâce à cette importance place de l’affectif, que l’adolescent apprend à construire une sexualité basée sur le respect de l’autre; et c'est par la réception de ce même respect qu'il construit aussi la pudeur de son propre corps.


2) que la sexualité serait une affaire de performances, qui se mesureraient en durées, en nombre d’orgasmes et de diversité des positions à réaliser. Les échecs (éjaculations précoces, incapacité à maintenir une érection ou à avoir un orgasme, douleurs, etc.) sont vécus comme des épisodes honteux, car ils renvoient à l’adolescent une image anormale (au sens littéral, "en dehors de la norme") de sa sexualité. L'adolescent, mettant très haut la barre de ses propres performances sexuelles, se heurtera aux limites de son inexpérience; il aura l'impression de ne pas avoir fait "ce qu'il fallait". Cette angoisse de la mauvaise performance est centrale dans l'appréhension des jeunes de leur sexualité. Selon la philosophe Michael Marzano et le médecin et sexologue Claude Rozier, qui ont enquêté auprès d'un public d'adolescents: « Les adolescents sont déjà au courant des risques liés aux rapports sexuels. Ils demandent plutôt qu’on les rassure à propos de leur façon de se comporter face à l’autre. De ne pas savoir « être » ou « faire ». La référence à la pornographie est une constante » (D)


3) que la sexualité serait l’affaire de corps beaux et sans défauts, tels que ceux montrés dans la pornographie. Or, l’adolescence est aussi l’âge où l’on apprend à écouter et accepter son corps, avec ses défauts (réels ou fantasmés) et ses limites. Comme le rappellent à nouveau Michaela Marzano et Claude Rozier, « préoccupés par leurs corps et leurs organes en plein développement, ils trouvent dans la pornographie des modèles identificatoires. » (D). Le renvoi permanent aux standards des corps musclés et entraînés de la pornographie mainstream dévalorise l’adolescent dans l’image qu’il a de son propre corps.

B. Les conséquences plus particulières sur les adolecentes

 

La sexualité de l'adhésion et non celle des désirs

 

Les adolescentes – comme, de façon plus générale les femmes – consomment moins de pornographie que leurs camarades masculins. Ainsi, selon l'étude "Les adolescents et le porno: vers une "Génération Youporn?" éditée par l'IFOP en mars 2017 (B), 64 % des adolescents ont déjà visionné une vidéo pornographique au cours des douze derniers mois, contre 39% des adolescentes. La même étude constate cependant que la consommation des adolescentes a quasiment doublé depuis 2003, réduisant l'écart avec celle des garçons.

 

Pour les adolescentes, l’intériorisation du discours pornographique est différente. Là où les garçons vont intégrer l'image d’une sexualité de la domination (voir ci-dessus), les adolescentes vont intégrer en miroir l’idée d’une sexualité de l’adhésion, de la soumission et même de la négation de leur propre désir.

 

Le modèle pornographique leur enseigne que ce qui compte, ce ne sont pas leurs propres envies, mais celles de leur partenaire masculin. Tout l'imaginaire sexuel représenté par la pornographie mainstream est en effet tourné autour de la sastisfaction des désirs de l'homme, et la relation représentée n'a d'autre finalité que l'éjaculation. Je vous invite, pour plus d'informations sur le sujet, à prendre connaissance de l'article "Une sexualité phallocratique et violente".

 

Les garçons, dans le contexte dl’ultraperformance promue par la pornographie, peuvent être pressants à la réalisation de pratiques que l’on expérimente généralement plus tardivement (tel que la sodomie ou la gorge profonde par exemple.). Les filles, par pression ou crainte d'être rejetées par leur partenaire, pourraient être enclines à exécuter des choses qu’elles ne souhaitent pas. Le psychanalyste Gérard Bonnet explique ainsi que: « La plupart des filles réagissent de façon indirecte, à partir des exigences énoncées par les garçons qui s’y réfèrent directement pour leur demander d’entrer dans des jeux ou des scénarios qu’ils ont longtemps visionnés, pour leur faire plaisir (…) s’y prêtant à des postures sexuelles humiliantes » (E).

 

L'éveil à la sexualité des adolescentes peut donc être potentiellement meurtri par la réalisation de pratiques qu'elles ne souhaitaient pas, ou alors pas tout de suite. Cela peut avoir des effets importants sur l'image qu'elles auront de leur propre corps et de leur propre sexualité, et jouer sur leurs relations avec les futurs partenaires.

 

Les dangers du sexting (ou sextage)

 

Les générations actuelles ont un rapport avec leur image différent de celui de leurs aînés. La diffusion de photographies, de vidéos ou d'nformations personnelles est une chose banalisée par les réseaux sociaux - ce qui n'est pas sans danger, car sur le Net, rien ne s'oublie, et rien ne se pardonne.

 

Si la majorité des adolescents comprennent parfaitement le caractère sacré de leur propre corps, d'autres auront facilement tendance à intégrer la diffusion de contenu d'eux-même sexuellement suggestif voire explicite auprès de leurs amants, comme une forme de pratique sexuelle: c'est le sexting. Certains garçons, biberonnés à la pornographie, peuvent même exiger de leur partenaire ce type de contenu comme preuve de leur « amour ».

 

La diffusion de contenu sexuel intime entre partenaires pose une double question

- le contrôle de la diffusion, l’adolescent recevant ce type de missive pouvant être tenté d’en faire une diffusion autour de lui en tant que trophée ;
- le devenir de ce contenu en cas de désarroi affectif : l’adolescent délaissé pourrait être tenté de diffuser ce contenu afin de nuire à son ancien partenaire (c’est le revenge-porn) ou de s’en servir pour exercer une pression sur lui, le faire chanter.

 

Les conséquences d’une diffusion non contrôlée de contenu sexuel personnel sont dramatiques : stigmatisation sociale, harcèlement sur les réseaux sociaux, dépression voire suicide (F). Les adolescentes sont les premières victimes du revenge-porn, car ce sont d’elles dont est diffusé du contenu - on estime que 90% des victimes du revenge-porn sont des femmes.

 

Rappelons enfin que la pratique est pénalement répréhensible. La diffusion ou même la simple possession de contenu sexuellement explicite d’un mineur reste de la pédopornographie, ce qui constitue un délit grave. Strictement rien n'empêche de poursuivre un adolescent, même s'il est mineur, pour de tels faits. Je vous invite à prendre connaissance.de l'article "La pornographie enfantine sur Internet" pour de plus amples précisions sur les risques juridiques encourus par la diffusion de pédopornographie.

 

La France s'est également dotée depuis 2016 d'une réglementation plus spécifique liée au revenge-porn, à l'article 226-2-1 du code pénal. Cet article permet la réalisation de poursuites même dans le cas où la victime est majeure (G), à hauteur de deux d'emprisonnement et 60 000 euros d'amende.

 

C. Y'a'-til des adolescents pornodépendants ?

 

Votre adolescent, aussi génial soit-il, ne fera sans doute pas exception. Il cotoiera la pornographie. Mais il faut de suite vous rassurer: tous les adolescents qui sont entrés en contact avec la pornographie ne finiront pas dépendants. Une bonne part s'arrêtera au stade de la simple curiosité ou d'une consommation contrôlée. Mais certains, malheureusement, s'enfermeront dans une surconsommation et deviendront pornodépendants.

 

Parmi les témoignages proposés sur le forum du site, on peut consulter quelques témoignages d'adolescents qui ont, malgré leur jeune âge, déjà expérimenté les conséquences néfastes de la pornodépendance.

 

 

TEMOIGNAGE DE BOBI34, 5 JUILLET 2014

 

"Je me présente, je suis un ado de 17 ans, j'ai une copine (...) Mais voilà, depuis très petit (11 ans), je fréquente régulièrement des sites pornographiques (...) Je voudrais vraiment m'en sortir, mais je pense que je vais avoir beaucoup de mal (...) Ca va faire 6 ans que je fréquente ce genre de sites, qui je pense ont eu des effets très négatifs sur moi. Tout d'abord avec les femmes, je peux leur parler sans problème, mais juste leur parler un peu, sinon je me sens mal à l'aise. Quand je vois certaines femmes attirantes, je me fais tout de suite une "sorte de scène porno" dans ma tête. Avec ma copine, j'adore faire l'amour, mais généralement ça ne dure pas longtemps, ce qui provoque chez moi une énorme perte de confiance (...) parfois j'ai des images cauchemardesques dans mon esprit où ma copine se trouve, je fais tout pour renvoyer ces images, mais parfois j'ai du mal. Pour la masturbation, c'est pareil: presque impossible d'avoir du plaisir sans ces films (...) Je suis baigné dans cette merde depuis tout petit (...)"

 

Témoignage issu du forum du www.pornodependance.com

 

 

 

On trouve aussi sur le forum beaucoup de récits d'adultes qui expliquent être tombés dans le porno à un âge trés précoce, et que cette "mauvaise rencontre" les a en quelque sorte "bousillé". Tous témoignent de grandes difficultés actuelles dans leur sexualité et dans leur approche de l'autre.

 

 

Témoignages de pornodépendants

 

Témoignage de FacDroit, 22 novembre 2020

"J'ai 48 ans. J'ai tout un passif. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été très attiré par la pornographie. J'ai eu la chance (!) d'avoir facilement accès à du matériel pornographique à un très jeune âge (10-11 ans: VHS-revues). Durant mon adolescence (14 à 17 ans), ma consommation a rapidement augmenté. Avec l'arrivée d'Internet, ma consommation a littéralement explosé. Je collectionne photos et vidéos depuis. J'ai toujours eu une libido (sexe réel) très basse, un faible intérêt pour les relations sexuelles réelles et un faible attrait sexuel (...) Mes premières relations sexuelles réelles m'ont fortement déçues (je n'avais pas d'érection). Je souffre de tous les problèmes sexuels imaginables (trouble du désir, problèmes d'érection, impuissance, éjaculation précoce... plus une anxiété de performance qui s'est ajoutée) (...) On dirait que mon cerveau est incapable de s'exciter sans stimulation pornographie préalable. Tout est mort (...) La porno "nourrit" ma libido on dirait (...) Je suis célibataire et je trouve qu'il est difficile de se "rebrancher" au sexe réel, ce qui favorise les rechutes à mon avis (...) Misère, j'ai vraiment bousillé mon cerveau."

 

Témoignage de Piouf, 01er novembre 2019

"J'ai 30 ans (...) je n'ai jamais eu de relation sexuelle. Je suis accro à la masturbation depuis 14 ans et à la pornographie concrète depuis 12 ans, ayant eu Internet seulement à 18 ans. Comme de nombreuses personnes (j'ai lu un peu les autres témoignages) je suis tombé dans l'addiction sans m'en rendre compte (...) J'ai des difficultés d'érection qui me font appréhender d'avoir un rapport réel. J'ai tellement regardé de trucs hors normes, violents et bizzares que je ne sais plus ce qui m'arrive et quels sont mes véritables fantasmes (...) Je n'ai également plus de plaisir depuis très longtemps. Je vis dans le souvenir très vague de la jouissance et c'est pour cela que je recommence systématiquement à me masturber devant des images sachant même que ce sera vain (...)"

 

Témoignage de BaroCar31, 15 août 2019

"J'ai 20 ans et je suis très addict au porno (...) Les premières fois où j'ai vu du porno c'était vers l'âge de 8 ans (...) Ensuite en classe de CM2 environ avec mon cousin et un autre ami (...) nous regardions des trucs X (...) Je me souviens que je commençais à essayer de me masturber (....) Très souvent pendant les vacances et les week-ends je me masturbais devant les DVD (...) devant des photos X (...) vers le milieu d'année de CM2 (...) Je continue très régulièrement à me masturber devant des sites porno jusqu'en classe de 4ème, du coup le contenu est devenu de plus en plus hard (...) J'ai eu accès au porno streaming dès que j'ai eu l'ordinateur, c'est-à-dire en 6ème. Donc en gros j'ai connu le porno hard avant d'avoir embrassé une fille (...) Ensuite au lycée (...) Escalade du contenu pornographique. Je collectionne 400 vidéos porno en full HD sur l'ordinateur. Jamais eu de rapports sexuels. Jamais embrassé une fille (...) En Terminal je prend conscience de l'importance du porno et des effets que cela produit (...) J'essaie d'arrêter mais je n'y arrive pas. Je déprime (...) Aujourd'hui à 20 ans je suis terriblement addict. Je n'ai jamais eu de copine, ni eu de relations sexuelles, j'ai très peu d'amis. Je suis sûr à 100% que j'ai des problèmes d'érection. C'est comme si je n'avais absolument aucun désir (...) Le porno a vraiment eu un mauvais impact sur ma vie (...)"

 

Témoignages issus du forum du www.pornodependance.com

 

 

 

Je propose également sur ce site des questionnaires réservés aux pornodépendants, afin qu’ils puissent faire une évaluation de leur niveau d’addiction. Au 27 février 2021, sur un total de 6225 répondants ayant donné leur âge au sein de ces questionnaires, 661, soit 10,6% des répondants, étaient âgés de moins de 18 ans (de 10 à 17 ans).

 

Détricoter une sexualité sous l’emprise de la pornographie n’est pas une chose facile – c’est pour cela que ce site existe – mais la tâche est encore plus compliquée si cette dépendance a commencé très jeune, parce que cette emprise a été la base même de la construction de la sexualité.

 

II. POURQUOI EST-IL NÉCESSAIRE D'ABORDER CES QUESTIONS AVEC SON ADOLESCENT?

 

On ne saurait adopter la même attitude face à un enfant, et face à un adolescent. Les enfants demandent de l'encadrement. Ils attendent d'un adulte qu'il leur fixe les limites à ne pas dépasser. Un adolescent, quant à lui, se tient dans une logique d'opposition vis à vis de ses parents. Vous ne parviendrez de toute façon pas à l'empêcher de visionner de la pornographie s'il le désire, tant l'accès aux supports du X est facile de nos jours.

 

Aussi, faut-il, avec un adolescent, privilégier le développement de l'esprit critique, afin que ce dernier puisse être capable de" décoder" le véritable discours des images.

 

A. Prendre conscience que son adolescent... n'est plus un enfant

 

Arriver à concevoir son enfant, comme un être en train de s'éveiller à la sexualité

 

L’éveil de la sexualité d’un adolescent va irrémédiablement le propulser dans le monde des adultes.

Ce passage crucial n’est pas toujours facile à vivre pour les parents, qui, d'une certaine façon, ont l’impression de "perdre" leur progéniture.

Leur enfant cesse d’être un enfant. Il est en train de grandir, et va bientôt devenir un adulte. Et il cherche déjà sa sexualité.

 

C’est à ce moment crucial de sa vie que l'adolescent pourrait avoir besoin de ses parents, afin que ces derniers l'aident à faire face à ses doutes.

 

Si vous avez toujours du mal à concevoir votre enfant comme un être sexuel en puissance, repensez à ce que vous ressentiez vous-même à son âge. Dites-vous qu’il y a de fortes chances qu’il se pose les mêmes interrogations que vous.
Et si, malgré tout, vous avez l’impression que décidemment, il n’est pas comme vous à son âge, n’oubliez pas que la société a évolué. Les enfants grandissent plus vite de nos jours, les questions se posent plus tôt. Les tentations sont plus grandes. Des parents modernes doivent savoir s'adapter au monde moderne !

 

Plus vous attendrez, plus vous risquez d'arriver trop tard

 

"A onze ans, les gamins s'intéressent déjà au sexe, tandis que leurs parents les voient encore comme des bébés purs et innocents (...). Mon neveu de treize ans m'a demandé un jour s'il n'était pas impuissant, car il n'arrivait pas à tenir aussi longtemps que dans les films"

Nina Roberts, ex-actrice pornographique, interviewée pour le www.ecranlarge.com, 08 juillet 2005.

 

Il arrive toujours le moment où l'on doit se rendre à l'évidence: son adolescent est "travaillé par la chose", il en "passe par là". Mais par commodité, gêne, ou ne sachant pas trop par quel biais aborder la question, nombre de parents bottent en touche… et lorsqu’ils commencent à s’y intéresser, arrivent trop tard.

En 2002, dans Le Nouvel Observateur, Christine, une mère de famille, témoignait à ce titre : « « Après avoir découvert les sites préférés de mon aîné de 17 ans, raconte Christine, j’ai voulu lui parler et je lui ai demandé s’il voulait des préservatifs. Il a failli mourir de rire. Maman, m’a-t-il dit, je ne t’ai pas attendue, ça fait trois ans que j’en ai. » (H)


Quitte à découvrir un jour ou l’autre l’éveil de votre adolescent à la sexualité, ne vaut-il pas mieux y être préparé le plus tôt possible ?

 

B. C'est aux parents de transmettre les valeurs, pas aux médias

 

Les parents se doivent de se mêler de ces questions

 

Nombre de parents estiment qu’ils n’ont pas à se mêler des questions relatives à la sexualité. Ils laissent ainsi leurs enfants se débrouiller seuls, face à leurs propres doutes, leurs propres craintes. La sexualité serait quelque chose de tellement intime, qu'il serait indécent d'en parler avec ses parents.

 

Mais cette position est extrêmement paradoxale. Ainsi, nombre de parents surveillent du coin de l'oeil les fréquentations de leur enfant, pour faire face à toute "mauvaise influence". Ces mêmes parents, qui s'inquiètent de savoir avec qui leur ado sort, ne voudrait pas savoir avec qui il souhaite coucher ?!?

 

D'autres tentent de se rassurer, en essayant de se convaincre que la pornographie ne concerne pas leur enfant. Le psychologue Gérard Bonnet le constate lors de ses consultations : « quand le praticien reçoit les parents (…) si on leur demande en cours de conversation et sans viser qui que ce soit ce qu’ils pensent de la pornographie (…) ils se disent convaincus que leur progéniture n’est pas touchée par le phénomène. En réalité, ils n’en veulent rien savoir : saine hypocrisie, faire comme si cela n’existait pas. » (E)

 

Cette réaction témoigne surtout d'une attitude de parents cherchant à se défiler de leurs reponsabilités, en n'abordant pas les sujets gênants, de surcroît lorsqu'ils sont potentiellement sources de conflits.

 

Les parents doivent transmettre des valeurs

 

Nous vivons dans des sociétés où tout ce qui se rapproche des valeurs est dénigré. Les tenants de la pédagogie en vogue insistent sur le fait que l'enfant doit faire lui-même son apprentissage. Le parent, autrefois, représentait l'autorité. Il était celui par qui arrivait l'idée de bien et de mal. La mode est aujourd'hui à la permissivité.

 

« Les parents sont démunis, désemparés, dépassés, lance Benoît Félix, infirmier devenu animateur pour le CRIPS Ile-de-France, association de prévention du sida. Dans les milieux défavorisés, les pères laissent traîner une vidéo X ou un cédérom pour que le gosse s’initie. Le plus souvent, on laisse les enfants libres, car il ne faut surtout pas passer pour un ringard ».

Une psychologue, Françoise Patriat, en connaît depuis quelques années. « A partir du moment, estime-t-elle, où Canal + a laissé entrer le porno à la maison, les parents n’ont plus su ce qui était bien ou mal. Je connais des grands parents qui regardent un film X avec un petit-enfant sur les genoux. Ca passe à la télé, alors c’est à la mode. Interdire, c’est être hors normes… (H)

 

Souhaitez-vous que la télévision et Internet éduquent votre ado à votre place?

 

Vous serez peut être tenté de laisser votre enfant se faire tout seul son éducation sur ce sujet. Il devra donc se débrouiller tout seul pour trouver les réponses à ces questions.

Où va-t-il les trouver? Au plus proche de lui, tout simplement: auprès de ses camarades, rarement mieux informés que lui ; mais surtout, dans les programmes télévisés et sur Internet.

Les médias ne sont pas là pour éduquer votre enfant. Ils sont avant tout là pour vendre: un programme, une série, un abonnement à un site... Or, la sexualité est un excellent moyen de booster les ventes; c'est pour cela qu'on trouve aujourd'hui tant de sexe dans nombre d'émissions et de publicités.

 

Là où il y a du commerce, il n'y a pas d'esprit critique. Vos enfants n'apprendront pas tout par les médias.

 

Ne pas avoir peur d'entrer dans le conflit

 

"Actuellement, dans notre société, l’adolescent est devenu une valeur suprême, le modèle du parfait prescripteur. La plupart des parents ont peur d’entrer en conflit avec les adolescents, sous l’injonction sociale d’être « des bons parents »" (I)

 

L'adolescence est l'âge des conflits. Votre adolescent recherche ces affrontements, car par ce biais, il va s'opposer à vous, et construire sa propre identité. Eduquer un adolescent, c'est aussi s'opposer à lui.

En lui cédant tout pour assurer la paix du foyer, vous ne faites que sauver les apparences du foyer harmonieux. Mais vous n'aidez pas votre adolescent à faire face aux frustrations de la vie, et allez en faire un adulte caractériel.

Quoiqu'il en dise, votre adolescent ne vous en voudra pas de vous opposer à lui, puisque c'est justement ce qu'il recherche. Par contre, plus vieux, il risque de vous reprocher votre permissivité.

 

C. Parce que c'est une chose importante

 

Ne pas minorer

 

Un certain nombre de parents, par facilité, mettent les évolutions de leur progéniture sur le dos de la "crise d'adolescence". Ainsi, quoiqu'ils disent, quoi qu'il arrive, l'explication est déjà toute trouvée: cela est toujours dû à cette fameuse crise, celle qui est censée passer avec l'âge.

 

Cette explication est extrêment dangereuse!

 

D'abord, parce que votre adolescent a des choses à dire, et attend justement de vous que vous l'écoutiez. Si dès le début de la discussion, vous déconsidérez son avis, vous l'empêchez de grandir, vous le maintenez dans le rôle de l'enfant.

Ensuite, parce que non, tous les problèmes des ados ne passeront pas avec l'âge. Nombre de dépendances pornographiques ont commencé à l'adolescence, avec de jeunes hommes qui, à l'époque, n'ont pas trouvé d'interlocuteurs capables de les aiguiller.

 

Arrivés à l'âge adulte, l'addiction de ces adolecents ne s'est pas miraculeusement envolée. Dans la majorité des cas, elle s'est intensifiée et pérennisée.

 

TEMOIGNAGE DE BIBOPCHANGE, PORNODÉPENDANT

 

BibopChange, 24 ans: "J'ai commencé à peu près comme tout le monde à regarder quelques images de femmes nues à partir de l'âge de 15 ans (...) à partir de 17-18 ans j'ai commencé à regarder des films pornos, chose que je ne pratiquais pas réellement avant et j'ai commencé à me masturber à un rythme beaucoup plus soutenu (au moins 4-5 fois/semaine).

C'est à ce moment là à mon avis que je suis devenu accro sans m'en rendre compte donc vers l'âge de 18 ans (...) je suis devenu de plus en plus complexé par ma sexualité, qui n'était présente que par procuration avec ces vidéos, je me suis donc essayé plusieurs fois à des relations tarifées vers 22 ans (ce dont je ne suis pas fier), et après coup, mon estime de moi a encore plus diminué (...) j'ai l'impression d'être dans un état de tension de stress permanent (...)

 

Source : Forum du www.pornodependance.com

 

 

 

Le porno d'aujourd'hui n'a rien à voir avec le porno d'hier

 

Les pères ont tendance à minorer la question de la pornographie. La plupart d'entre eux ont eu eux-même un contact avec la pornographie lors de leur adolescence. Cette dernière a accompagné de près ou de loin la construction de leur propre identité sexuelle. Ils se souviennent avec nostalgie, voir un certain émoi, de leurs vieux Playboy, ou d'une VHS chipée à leur propre père ou à un grand frère..

Du coup, nombre de pères ont tendance à considérer la pornographie comme une étape obligée de l 'éducation sexuelle de leur garçon. Un manière pour eux de découvrir le corps féminin. Une sorte de passage obligé dans la construction de leur virilité.

 

Mais ce que ces pères oublient, c'est que la pornographie d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle de leurs jeunes années. A leur époque, la pornographie avait encore un parfum de transgression. Elle était un défi à relever.

Aujourd'hui, la pornographie est une norme. Elle court librement sur Internet, et de plus en plus à la télévision. Les adolescents des années 2000, 2010 et 2020 sont littéralement noyés sous la multitude de ses supports. Ils ont clairement besoin qu'on les aide à décrypter ce qu'ils voient.

 

Les mères, elles, sont généralement moins sereines. Elles ont tendance à analyser la pornographie pour ce qu'elle montre: une sexualité violente envers les femmes, une expression phallocratique des rapports sexuels, et au delà, des rapports sociaux..

La consommation de pornographie s'accompagne également de masturbation, sujet souvent délicat pour une mère.

 

Ce que peuvent voir les adolescents aujourd'hui n'est clairement plus le "porno à papa" des années 70, qui était plus axé sur la démonstration d'un sexe joyeux: le porno d'aujourd'hui, c'est un enchaînement de positions acrobatiques et douloureuses (certains films montrent des scènes de pénétrations simultanées multiples) dont bon nombre sont basées sur l'humiliation de la femme.

 

D. De l'inutilité de l'approche répressive

 

Vous pouvez être tenté d’interdire, sous peine de sanctions, le contact de votre ado avec la pornographie. Vous pourriez être tenté de blinder le PC familial de moyens de filtrage, de verrouiller les téléviseurs avec un code parental.


L'approche répressive est pourtant à proscrire avec un adolescent. Vous ne vous attaquez pas un comportement déviant ; vous vous attaquez à un comportement tendant à être normatif, et rentrant logiquement dans les recherches de son âge.
N’oubliez pas que votre enfant parle avec les camarades de son âge. Sur 10 parents, vous serez probablement un des seuls à avoir choisi une inclinaison répressive. Votre enfant risque alors de se sentir injustemment traité. Il risque de s’isoler et de garder pour lui ce qu’il ressent. Par un mélange de curiosité et de soif de la transgression, il ira trouver la pornographie là où vous ne pouvez pas la contrôler ; chez un copain par exemple, dans un cybercafé, dans une revue qu'il ne ramènera pas chez lui ou qu'il cachera. Et il sera privé d’un interlocuteur essentiel – vous – pour faire face à ses questionnements.

 

Vous ne supprimerez pas la pornographie. La pornographie est une activité vieille comme le monde. Encouragée par l’évolution des mœurs et le laxisme des politiques publiques, elle s'est organisée en industrie juteuse et profitable. Croire qu’il est possible de la supprimer est totalement illusoire.
Pire, une interdiction complète de la pornographie risquerait d’avoir l’effet pervers de favoriser sa consommation illicite. Il deviendrait alors totalement impossible de savoir quelle pornographie est consommée.

La répression ne servirait à rien, car s'il le désire, votre enfant trouvera toujours un moyen d'avoir accès à de la pornographie.

Pire, le considérant désormais comme un moyen de s'opposer à vous, il l'idéalisera, ce qui renforcera en lui l'idée qu'elle lui est bénéfique. D'ailleurs, comme le rappelle Jacques Henno: "si on dit aux enfants que le porno, ce n'est pas pour eux, mais pour les adultes, ils se précipitent dessus". (J)

 

Bien sûr, des actions sont envisageables afin d'obtenir la régulation de la pornographie, notamment par les pouvoirs publics et le domaine associatif. Mais à votre niveau, celui de parents, votre responsabilité première est de permettre à votre enfant d’affronter les contenus hard.

Apprenez-lui ce qu'est réellement la pornographie. Armez-le pour décrypter son message. Votre adolescent est suffisament grand pour faire preuve d'esprit critique. S'il comprend ce qu'est réellement la pornographie, il s'en détachera de lui-même.

 

III. COMMENT EN PARLER?

 

A. Vaincre la gêne tout en respectant le jardin secret de son adolescent

 

Peut-être n'osez vous pas parler de sexualité avec votre adolescent, tout simplement parce que vous ressentez une certaine gêne pour ce type de sujets.

Après tout, vous êtes justement celui qui, pendant des années, a cherché à protéger votre enfant des dangers extérieurs. Vous avez cherché autant que possible à préserver son innocence. Et désormais, vous devriez vous mêler de telles questions intimes ?
Mais sachez que votre enfant n’ira pas spontanément vous voir, la gêne que vous ressentez étant réciproque. Les adolescents ont tendance à considérer la sexualité comme une affaire de leur âge. Ils concoivent mal que les générations plus âgées comme ayant ou ayant eu une vie sexuelle, même si bien entendu ils ne l'ignorent pas. Ce qui explique que les ados cherchent les réponses à ce type de sujet, en priorité en dehors de leurs foyers


Soyez rassurés: il est normal d'être gêné de parler de sexualité avec son enfant. Mais celui-ci grandit, et ses hormones n'attendront pas que vous ayez pris votre courage à deux mains.

Votre choix se résume de façon simple: choisissez-vous d’accompagner votre enfant dans cette étape importante de sa vie ? Ou laissez-vous la pudeur et la gêne l’emporter, quitte à le laisser se débattre seul face à ses interrogations ?

 

Dans les familles où les questions de sexualité sont bannies, on ne constate pas particulièrement une plus grande sérénité des enfants. Dans la majorité des cas, ils ont été chercher leurs réponses ailleurs. Avec tous les risques que cela comporte: une réponse incomplète, ou fausse, entraînant des frustrations.

 

S’il est important de respecter l’intimité de l’enfant ou de l’adolescent, vous n’avez pas à renoncer à vous intéresser à sa vie!

 

B. Ne pas tomber dans le travers inverse (l'excès d'impudeur)

 

Certains parents ont opté pour une éducation "new age", où la pudeur est abolie, et où l’échange sur le sexe est prétendumment libre et sans tabou. L’adolescent est invité à partager sa vie sexuelle au sein du foyer, et est convié à connaître celle de ses parents.

 

Cette façon d’éduquer peut pourtant se révéler désastreuse.

Certes, j’ai bien expliqué qu’il ne fallait pas laisser à l’abandon votre enfant face à ses tourments sexuels. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, à savoir le priver de tout jardin secret.
Un adolescent, pour se construire, aura naturellement besoin de garder pour lui une certaine pudeur, ce qui est plutôt sain. En effet, c'est dans cette pudeur qu'il trouvera ses propres limites.

En demandant à votre enfant une information complète sur sa sexualité, vous empêchez la construction de sa propre identité sexuelle.

 

Une juste mesure est donc à trouver !


Si votre enfant est en âge d’avoir des relations sexuelles, vous pouvez vous informer pour savoir s’il l’a fait, et avec qui. Mais vous n’avez pas besoin des détails intimes.


Si vous surprenez votre adolescent en train de se masturber, vous n’avez pas non plus besoin d’en savoir plus. Vous avez eu son âge, donc vous savez que vous aussi vous l'avez fait. Pour votre adolescent, savoir que vous savez est déjà humiliant. Laissez lui cette intimité, sauf si bien sûr cela devient compulsif (de nombreuses fois par semaine).


De la même façon, votre enfant n’a pas à connaître le détail de votre vie sexuelle. Je l’ai dit en introduction, votre enfant met logiquement une barrière, qui l’empêche de vous concevoir comme un être avec une vie sexuelle active. L’abolition de cette barrière nuira à votre rôle de parents, en vous rapprochant de celui d’un confident. Et puis, n’oublions pas que vous aussi, vous avez le droit à votre intimité !

 

Jean-Charles Nayebi (K) rapporte le cas de parents visionnant de la pornographie avec leurs propres enfants. En agissant ainsi, ces parents piétinent la notion de pudeur: aussi bien celle de leurs enfants, que celle des corps à l'écran. Ils détruisent la barrière existant avec leurs enfants, et pourtant nécessaire à leur éducation.

Ces parents expliquent qu'ils pensent ainsi contrôler la vision de la pornographie de leurs enfants. C'est totalement faux, car comme le rappelle Jean-Charles Nayebi, "cette « piqûre de porno » dispensée dans un cadre normé, ne garantit en rien que l’adolescent ne cherchera pas à vivre sa propre expérience de la chose, sans chaperonnage parental.". Les parents qui visionnent de la pornographie avec leurs enfants, naïvement, ne s'intéressent pas de savoir s'ils en visionnent sans eux. Ils seraient surpris: au lieu de les avoir protégés, en leur empêchant de développer leur esprit critique, ils leur ont ouvert la porte de la dépendance.

 

Je rappelle également qu'au regard des dispositions de l'article 227-24 du Code Pénal, il est totalement interdit de faire visionner de la pornographie à un mineur!

 

C. Parler à l'adolescent comme à un adulte, pour établir un climat de confiance

 

Vous avez dépassé la stade de la béatitude infantile, et savez désormais que votre adolescent visionne de la pornographie.

Vous l'avez peut-être découvert sur son PC. Vous l'avez peut être surpris. Ou vous êtes tombé sur des revues dans sa chambre.

 

Comment aborder le sujet?

 

Vous avez très peu de chances que votre adolescent vienne spontanément vous voir. Mais ce n'est pas pour autant que vous n'avez pas le droit de vous informer.

Expliquez-lui comment vous avez trouvé la pornographie. Votre adolescent s'énervera sans doute, mais ne vous en tiendra pas rigueur sur le terme. Ce n'est pas comme si vous aviez pris connaissance de son journal intime! Il s'attend à une certaine veille de votre part.

Ne le blâmez pas. En recherchant de la pornographie, il n'a pas un comportement déviant, au contraire, il correspond aux codes de son âge. Ce qu'il faut, c'est l'armer pour l'aider à déchiffrer de la bonne façon ces codes.

Parlez-lui comme à un adulte. Il a passé l'âge des choux et des roses. Il sait parfaitement à quoi ressemble le corps de l'autre sexe, pour l'avoir suffisament vu en images.

 

Demandez-lui ce qu'il lui plaît dans la pornographie, sans le juger. C'est comme cela que vous réussirez à établir une relation de confiance. "Un jeune qui peut parler à un adulte de ses émotions, cesse d'être prisonnier des images", rappelle Jacques Henno (J). En ouvrant le dialogue, vous permettez à votre adolescent d'avoir l'esprit critique nécessaire au décodage. Et en renouvelant ce dialogue, vous élargissez cet état critique.

 

IV. QUE DIRE ?

 

A. Rappeler à votre adolescent que ce qu'il voit, n'est pas la réalité de la sexualité

 

"Mon neveu de treize ans m’a demandé un jour s’il n’était pas impuissant, car il n’arrivait pas à tenir aussi longtemps que dans les films (...) J’essaie de faire comprendre aux jeunes que le porno ne ressemble en aucun cas à un manuel d’éducation, c’est un simple divertissement pour adultes [...] Mais malheureusement, ce n’est pas ce qui se fait en ce moment. Ce qui se vend, c’est l’éjac faciale"

Nina Roberts, actrice pornographique, interviewée par le magazine www.ecranlarge.com, 08 juillet 2005.

 

La pornographie ne représente pas la réalité des rapports sexuels, et ce pour de nombreuses raisons.

 

Tout d'abord, parce que la sexualité mise en avant dans les scènes X, est quasi exclusivement tournée autour de l'idée de performance. Il s'agit de multiplier les positions les plus acrobatiques, d'arracher le cri le plus aigu, de battre tous les records du sexe. Il faut en faire toujours plus. Dans ce combat des corps, l'aspect relationnel est quasiment absent. Les minables scénarios des films pornographiques ne trompent personne: le film n'a d'intérêt que par ses scènes sexuelles. Dans la quasi totalité des cas, on se passe parfaitement de savoir ne serait-ce que le simple nom des personnages.

 

Ensuite, parce qu'il s'agit bien de cinéma, avec tout ce que cela implique: un maquillage spécifique, des jeux de lumières très particuliers, un montage des "meilleures scènes", une simulation à l'extrême, un recours à des artifices (les éjaculations sont souvent "doublées" par du faux sperme par exemple)

 

Enfin, parce que la sexualité montrée, derrière la fausse audace des poses sexuelles, est extraordinairement réactionnaire. Plus de 99% de la pornographie suit un même schéma: fellation - pénétration vaginale - pénétration anale de la femme - éjaculation externe. Cette sexualité est axée autour du seul plaisir de l'homme. Comme si il y avait une sorte de cahier des charges du sexe! Si vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez lire sur ce site l'article "La pornographie est réactionnaire".

 

Un adulte, avec une vie sexuelle équilibrée, et habitué à contrôler ses pulsions, saura que tout cela n'est que du cinéma.

Mais pas forcément un adolescent, qui lui, recherche ses repères. Il cherche sa sexualité, à s'informer. Il aura tendance à considérer comme un modèle ce qu'il voit à l'écran. Sauf si évidemment, vous lui apportez une contre-proposition qui tienne la route.

 

B. Rappeler à votre adolescent que derrière les images, il y a de vrais corps

 

Les adolescents des années 2010 sont des enfants de l'écran. Ils ont, depuis leur naissance, grandi avec la télévision. La très très grande majorité d'entre eux a un ordinateur à la maison avec une connexion à Internet. Très jeunes, ils utilisent les réseaux sociaux, les sites de diffusion de vidéos et les applications d'échanges.

 

Le Net leur a donné accès à une information massive infinie. Mais cette information se fait sans tri, sans veille, sans contrôle. Ce qui fait vendre l'emporte vite: le sensationnalisme, le sexe, et la violence. Il suffit de voir entre autres, la mode actuelle pour les happy slappings (mise en ligne de vidéos de passage à tabac).

 

La seule façon pour un esprit normalement constitué de ne pas être meutri par de telles images, est d'y mettre de la distance. Et la seule façon d'y mettre de la distance, est d'oublier que derrière l'image, ce sont "de vrais gens."

 

Ainsi, pour les ados, les actrices pornographiques sont des femmes extraordinaires, au premier sens du terme: elles ne peuvent exister dans l'ordinaire. Elles ne sont que des icônes virtuelles, les nymphes des scénèttes téléchargées. Elles n'existent pas en dehors de la caméra.

Du coup, lorsqu'une scène pornographique hard leur est montrée, ils n'y voient pas une jeune femme qui souffre: ils y voient un corps féminin, désincarné, déshumanisé, qui gesticule devant la caméra. Il n'y a plus d'humain. Et s'il n'y a pas d'humain, il n'y a pas de souffrance.

D'autant plus que la pornographie, comme matière cinématographique, ne cherche pas l'authenticité, mais le simulacre: travestissement de la violence en plaisir, simulation d'orgasme, singerie des rapports sociaux.

 

N'hésitez pas à rappeler à votre adolescent cette réalité, à lui faire comprendre que vous même, vous êtes troublé par ces images, par ces corps qui souffrent à l'écran. En vous mettant au même niveau que lui, vous lui ferez comprendre que vous lui parlez comme à un adulte.

 

V. S'INFORMER SUR SA CONSOMMATION

 

La question n'est donc pas de savoir si votre adolescent consomme de la pornographie, mais si cette consommation est hors normes au regard des usages de son âge.

 

A. Comment savoir si mon adolescent est pornodépendant?

 

Pour établir si votre adolescent est dépendant, il faut vous poser les bonnes questions, et obtenir les vraies réponses. Ce qui est rarement facile à savoir, car les ados sont très peu loquaces sur le sujet avec leurs parents. Observez, écoutez, prenez le temps de rentrer dans son univers. Veillez. Que cache-t-il sous le lit? Dans les tiroirs? Qu'y'a-t-il dans l'historique de son PC? Vous lui rendrez service.

 

Comment consomme-t-il de la pornographie?

 

Si votre enfant ne visionne de la pornographie qu'avec ses copains, c'est qu'elle est pour lui une sorte de rite de passage typique de son âge. Une façon de se prouver, entre "hommes", qu'ils ne sont plus des enfants. S'il en visionne régulièrement seul, c'est plus inquiétant. Il y trouve un plaisir intime, suffisamment honteux pour qu'il n'en fasse pas publicité.

A noter que l'adverbe "régulièrement" est ici important. La pornographie est un produit attirant pour un adolescent curieux et cherchant la transgression. Si votre ado y est allé une ou deux fois par curiosité, pas de panique. S'il y trouve des habitudes, alors votre ado est dépendant.

 

Quels sont les supports de sa consommation?

 

La pornographie est facilement accessible à un adolescent, par de nombreux biais: Internet, les revues en kiosque, le matériel du père ou du grand frère, la télévision (le film de Canal, ceux des chaînes du câble), etc.

Un adolescent qui multiplie les supports est probablement dépendant.

Vous avez trouvé des revues dans sa chambre? Mais quelles revues? Les publications type Max, Maxim (Maximal en France), Entrevue, FHM ou autres ne sont pas à proprement parler pornographiques, même si le sexe y tient une part importante, et que le message qui y est porté est très clairement d'inspiration pornographique. Ces publications sont de surcroît calibrées pour un public d'adolescents ou de jeunes adultes, rien d'étonnant à ce que votre ado soit allé en acheter ou en emprunter un exemplaire.

Il existe aussi d'autres magazines, beaucoup plus nettement orientés porno, et donc au contenu beaucoup plus hard. Dans la majorité des cas, les adolescents préféreront aller vers les titres précités. Si votre adolescent, lui, achète de façon régulière ce genre de magazines, il est dépendant. Il est en effet entré dans un mode de consommation qui ne correspond plus aux normes de son âge.

Il va voir des sites sur Internet? Mais quels sites? La masse des sites X sur Internet propose le même catalogue de poses sexuelles. Mais des sites plus spécialisés existent, présentant des sexualités plus extrêmes (sado-maso, fétichisme, urophilie, scatophilie...). Votre ado aura pu aller les voir par curiosité. Mais si il se rend régulièrement sur des sites spécialisés, il est sans doute dépendant. Il est déjà entré dans une phase où la vision de la sexualité conventionnelle ne l'excite suffisament plus, alors qu'il ne l'a pas, ou à peine, abordé dans sa vie sexuelle réelle.

Egalement, si le gros du X sur le Net est gratuit, il y a tout de même des sites payants. Cela va du simple appel surtaxé pour débloquer une page ou un site (la société Allopass a assis sa notoriété sur ses codes "historiques" à 1,68 euros), à l'abonnement mensuel, ou au débit surtaxé sur la facture téléphonique. Si votre adolescent paie pour de la pornographie en ligne, alors c'est qu'il est dépendant. Il a largement dépassé le cadre de la simple curiosité, et est désormais prêt à dépenser pour assouvir sa dépendance, à un âge où l'autonomie financière est généralement limitée. A ce titre, n'hésitez pas à surveiller vos relevés bancaires, les siens s'il en a, ainsi que votre facture téléphonique: les appels aux services surtaxés type Allopass y apparaissent.

 

Un point également à rappeler, est l'existence ou non de collections. Lorsqu'un consommateur de pornographie entame une collection de matériel, c'est qu'il donne une dimension affective à ce matériel.

Le problème ne sera donc pas le même si vous avez trouvé une ou deux revues, ou une pile entière. De même, la situation ne sera pas à traiter de la même façon, si vous n'avez trouvé que quelques traces de surf sur des sites X sur le PC familial, ou un répertoire entier d'images glanées sur le Net.

 

Quelle est la fréquence de sa consommation?

 

Il n'y a malheureusement pas une consommation plancher, à partir de laquelle on peut définir un adolescent comme étant dépendant. Chaque cas est en effet différent. Toutefois, concernant les sites X en ligne, à titre de repère, je dirais que la dépendance, commence à partir de deux surfs solitaires hebdommaires sur Internet, d'une durée supérieure à 30 minutes.

Soyez également attentifs à la priorité donnée à cette consommation. Votre adolescent écourte-t-il les repas, ou a-t-il diminué les nombres de sorties avec ses amis, pour se rendre sur le Net? Si oui, il est sans doute dépendant. Il est en phase de repli, car il préfère l'isolement créé par la pornographie, aux relations avec les gens de son âge.

 

B. Que faire s'il est dépendant?

 

Si, après vous êtes posé les questions précédemment citées, vous êtes désormais convaincu que votre adolescent est un pornodépendant, alors il va être nécessaire de l'aider. Mais gardez toujours en tête que ne le forcerez pas à arrêter. Il faudra que cela vienne de lui. Au contraire; s'il sent que vous voulez le forcer, il va être incité à consommer, ne serait-ce que par défi ou goût de la provocation.

 

Amenez-le à se questionner

 

Parlez avec lui des raisons qui l'amènent à consommer autant de pornographie. D'accord, il a des copains qui en visionnent régulièrement. Mais est-ce une raison pour faire comme eux? Et ces copains sont-ils heureux? Et lui, trouve-t-il normal de consommer autant de pornographie?

 

Demandez-lui ce qu'il trouve d'intéressant dans la pornographie, et apprenez à contrer ses arguments. Demandez-lui pourquoi il ne préfère pas fréquenter les filles de son âge, plutôt que de se rendre sur des sites X. Chez un certain nombre d'adolescents, la pornographie peut cacher un malaise social. Faites lui comprendre qu'en se repliant sur lui-même, il ne s'encourage pas.

 

Demandez-lui s'il se sentirait capable de s'arrêter d'en consommer. Il vous répondra assurément que oui. Alors mettez le au défi. Dites lui de ne plus en consommer pendant un mois, et accompagnez sa tentative d'arrêt. L'idée étant ici de le mettre en situation de manque, pour lui faire réaliser que la pornographie est plus profondément ancrée en lui qu'il ne veut bien l'avouer. Si vous voulez davantage d'informations sur les méthodes de sevrage, n'hésitez pas à lire l'article Comment se sortir de la pornodépendance ?

 

L'adolescent pornodépendant, pour s'en sortir, doit comme l'adulte faire le bilan de sa pratique. Cette autocritique est nécessaire à sa remise en cause. Ce qui va prendre du temps, et est également question de maturité, de fierté mal placée.

Généralement, les dépendants ne prennent conscience du vice que quand les conséquences s'imposent à eux (problèmes relationnels ou sexuels, difficultés à faire face aux sensations de manque, etc...)

 

Une dépendance commencée à l'adolescence, est plus difficile à soigner, parce que la pornographie a accompagné la construction sexuelle de l'individu. Mais de la même façon, une dépendance que l'on remet en cause dès l'adolescence, peut être plus facilement traitée, parce qu'un adolescent aura moins de difficultés qu'un adulte à se "réinventer" sexuellement.

 

Encouragez-le à trouver des alternatives pour reprendre confiance en lui

 

Nombre de pornodépendances adolescentes ont comme origine un malaise intérieur. Ainsi, la dépendance pornographique est plus élevé chez les adolescents timides et mal dans leur peau, car ces derniers n'arrivent pas à aller facilement vers les filles ou les garçons de leur âge. Du coup, ils se replient sur la pornographie, qui leur présentent des figures féminines plus rassurantes.

 

Encouragez votre adolescent à sortir, à voir des amis. Proposez-lui de l'inscrire à une activité sportive. Encouragez-le dans ses autres centres d'intérêts. Faites-lui comprendre qu'il peut être quelqu'un d'intéressant, d'important. Ce n'est que comme cela qu'il reprendra confiance en lui.

La pornographie cessera alors d'être son unique centre d'intérêt. Au mieux, il la laissera tomber, car il aura trouvé quelque chose de plus positif sur lequel se canaliser. Au pire, sa consommation ne sera que freinée; mais lorsqu'il aura acquis assez de maturité pour arrêter, il aura d'autres centres d'intérêts sur quoi s'appuyer pour se réinventer.

 

Soyons honnête: face à la dépendance de leurs adolescents, les parents se sentent très souvent démunis, car, de par la nature souvent conflictuelle des rapports avec eux, ils sont assez mal placés pour les aider. Mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras. Si vous voyez que vous n'y arrivez pas, peut être y'a-t-il dans votre famille ou son entourage quelqu'un de plus âgé, de suffisament mûr et en qui votre enfant a confiance, pour être capable de l'aider. Il faut que votre adolescent soit suffisamment en confiance avec cette personne, pour pouvoir se confier à lui.

 

AFREG. Troisième version de l'article - mars 2021.

 

Citations :

 

A. Sondage OpinionWay pour l'association Ennocence, L’exposition des enfants aux images à caractère violent ou
pornographique sur Internet
, novembre 2016. Les études sur l'âge de la première exposition à la pornographie sont généralement basées soit sur les souvenirs des adultes, soit sur les observations faites par les parents ou les professionnels de l'enfance.

B. Sondage IFOP pour l'Observatoire de la Parentalité & de l'Education Numérique,Les adolescents et le porno: vers une "Génération Youporn"?, Etude sur la consommation de pornographie chez les adolescents et son influence sur leurs comportements sexuels, 15 mars 2017.

C. Baromète Santé 2016 Genre et sexualité, D'une décennie à l'autre, Santé publique France, par Nathalie Bajos, Delphine Rahib et Nathalie Lydié, octobre 2018: http://www.santepubliquefrance.fr/content/download/121903/file/154364_1865.pdf.

D. Alice au pays du porno ; Ados : leurs nouveaux imaginaires sexuels. Par Michela Marzano et Claude Rozier. Editions Ramsay, Questions de familles, 2005.

E. Défi à la pudeur: quand le pornographie devient l'initiation sexuelles, par Gérard Bonnet, Editions Albin Michel, 2003.

F.Une ado victime de sexting finit par se suicider, 30 septembre 2018, www.lematin.ch ;

Suicide d'une ado harcelée : son oncle interpelle Najat Vallaud-Belkacem, 11 mai 2016, www.lci.fr.

Il ne s'agit malheureusement que de deux exemples parmi d'autres.

G.Le délit de revenge porn adopté dans le code pénal grâce à la mobilisation des associations !, 17 octobre 2016, Fondation des Femmes, fondationdesfemmes.org

H. Les Ados et le porno, dossier paru dans Le Nouvel Observateur, 25-31 juillet 2002.

I. Accros à l'écran? Et pourquoi pas! Du Tamagotchi au cybersexe, Entretiens avec Jean-Claude Matysiak et Odile de Sauverzac, Editions Pascal, Enquête, mai 2006.

J. Les enfants face aux écrans : pornographie la vraie violence, par Jacques Henno, Editions SW-Télémaque, 2004.

K. La cyberdépendance en 60 questions, par Jean-Charles Nayebi, Editions Retz, Collection Santé, 2007.

 

 

 

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