UNE SEXUALITÉ PHALLOCRATIQUE ET VIOLENTE

 

 

L’un des plus gros mensonges de la pornographie, est de nous faire croire qu’elle ne serait que la juste monstration de l'intime sur pellicule. La pornographie ne ferait que montrer du sexe, dans toute sa "simplicité": quoi de plus naturel alors que la pornographie?

Adhérer à cette idée, c'est bien vite oublier que la pornographie est avant tout une représentation stéréotypée et subjective de la sexualité. Elle impose à son public la vue d'un sexe violent, phallocratique, axé autour de l'idée de la domination par l'homme du corps féminin.

La relation sexuelle n’y est conçue que comme devant aboutir au plaisir masculin. La femme n’y est qu’un instrument de plaisir entre les mains de l’homme.

 

Dans cet article, je parlerai aussi bien des productions grand public ("mainstream"), que des productions "hardcore".

 

Les productions mainstream forment la vitrine la plus socialement acceptable du X. Ce sont les classiques de Dorcel ou de John B.Root. C'est le film porno du samedi soir. C'est un porno convenu et convenable: balisé, codifié, contrôlé à l'extrême. Celui que certains aiment appeler "art". Celui dont on invite les actrices, sur les plateaux de télé en deuxième partie de soirée.

 

Le hardcore désigne cette masse grouillante de films qui, au contraire, échappe à tout contrôle. Ces films sont souvent l'expression d'une violence et d'une cruauté sans limite. Ils n'ont de film que le nom: la plupart de ces productions circulent sur les réseaux P2P ou sur les sites X crades, sous forme de scénettes allant de quelques secondes à 15 mn. Y défilent des milliers d'actrices amatrices, complètement anonymes, et dont le sort n'intéresse personne. Ce X là représente le gros de la pornographie actuelle. Il est pourtant très rarement évoqué dans les médias, qui lui préfèrent le visage angélique de Clara Morgane ou le charme de Katsuni, beaucoup plus photogénique à l'écran. Et beaucoup moins culpabilisant aussi.

 

I. UNE SEXUALITÉ PHALLOCRATIQUE

 

A. Un corps féminin soumis à l'unique désir masculin

 

La sexualité montrée par la pornographie est essentiellement basée sur la domination masculine du corps féminin.

 

Le sexe y est présenté comme un véritable rapport de force; les hommes se doivent de prouver leur virilité, en ne montrant ni faiblesse ni pitié pour leurs partenaires. Les femmes, quant à elles, sont reléguées au rang d'outils sexuels dédiés à la gloire du plaisir masculin.

 

Cette virilité se mesure alors à la capacité de l'homme, à user et abuser du corps de sa ou de ses partenaires féminines. Chaque rapport doit nécessairement entraîner un épuisement, un éreintement physique de l'actrice. Cette dernière doit ressortir à bout des rapports.

Le sexe devient alors un véritable sport, mélange de sprint, de marathon et de lutte: les participants à l'écran enchaînent pendant parfois plus d'une demi-heure toutes formes de pénétration, sans pause ni reprise du souffle, ni souci dans quelconque ménagement des corps. C'est pour cela que toute grimace de douleur sur le visage de l'actrice, est systématiquement maquillée en rictus de plaisir. La pornographie préférera toujours nous faire croire que les femmes aiment qu'on les maltraite, plutôt que de reconnaître à ces dernières le droit de s'opposer à la gouvernance de l'homme sur leur corps.

 

 

 

Conseil au dépendant: souvenez-vous que nous ne sommes pas des machines!

 

Rappelons que la durée moyenne d'un rapport sexuel est inférieure à six minutes (A) ! De surcroît, un rapport sexuel englobe nécessairement de nombreuses phases de pause, où les participants reprennent le souffle, reposent leur corps, ou prennent le temps de retrouver une érection en perte de vitesse. Cela est tout à fait normal, car nos corps ne sont pas des machines. Pas plus celui de M. et Mme Tout le monde, que ceux des acteurs porno d'ailleurs, pourtant physiquement entraînés. Ces derniers dans les films, ont recours à des subterfuges, pour entretenir l'illusion (drogue, faux sperme, montage qui supprime systématiquement les phases de pause...)

 

 

La pornographie présente comme acquise, la supériorité physique de l'homme sur la femme. Cette supériorité légitimerait la rudesse des rapports: l'homme est fort, donc il a le droit d'abuser de sa force. A l'opposé, la femme, "sexe faible", ne peut qu'acquiescer et consentir à cette rudesse des corps. Le sexe cesse d'être un échange: il devient l'expression à sens unique de la domination machiste.

A ce titre, les positions et actes les plus récurrents dans les films sont ceux qui passent le mieux à la caméra, mais également ceux qui permettent à l'homme d'exhiber au maximum son assise physique sur le corps féminin, comme par exemple la levrette, la fellation ou la sodomie.

 

Les dialogues lors des rapports - quand il y en a - appuient cette domination. L'homme désigne les femmes par des termes insultants, ou des diminutifs animaliers. Les femmes sont réputées être excitées par ces insultes, ces humiliations. Elles sont réputées être excitées par cette vulgarité. Les réalisateurs peuvent d'ailleurs les inviter à en rajouter, afin d'entretenir l'illusion.

La pornographie veut nous faire croire que les femmes aiment qu'on leur parle mal au lit. Si cela peut exciter certaines, ce n'est évidemment pas une majorité!

 

Une prostituée, oeuvrant depuis plus de trente ans, témoignait à Elisabeth Weissmann de sa stupeur quant à l'évolution du langage chez ses clients, notamment "tous ces jeunes notamment qui lui parlent comme on parle dans les films pornos. Je leur dis: On est pas au cinéma, tu ne me parles pas comme ça. Avec le porno, ils ont une certaine vision du sexe, le mépris de la femme, pas de relation, pas de baisers, je fais l'amour, je jouis, je décharge. La femme est reléguée au rang de réceptacle." (B)

 

Cette représentation de la sexualité est réactionnaire et phallocratique. Sous couvert d'exhiber des femmes soi disant libérées, elle entretient l'idée que la sexualité féminine ne peut être lue qu'à travers le prisme de celle de l'homme.

Je suis un homme, donc je suis fort, donc j'abuse de ma force sur la femme qui, naturellement soumise, ne demande que cela. Si je lui fait mal, ce n'est pas grave, car au fond d'elle, elle est censée rechercher cette douleur, cette violence.

La volonté sexuelle de la femme et sa propre quête de plaisir deviennent ainsi accessoires: trente années de révolution sexuelle et de luttes des femmes pour le droit d'user librement de leur corps passées à la trappe!

 

Conseils aux dépendants

 

Une sexualité harmonieuse est TOUJOURS basée sur un échange équitable entre les partenaires. On ne peut donc pas "imposer" ses volontés à sa partenaire. Dans la même optique, très peu de femmes apprécient de se faire insulter ou violenter pendant les relations sexuelles.

Les rapports de domination/soumission peuvent exister, mais ils doivent forcément résulter d'un concensus entre les participants.

Soyez attentifs aux volontés et aux désirs de votre partenaire. Cette dernière n'a pas forcément les mêmes préférences que vous. Elle n'attend peut être pas de vous une démonstration de force, mais sans doute de la tendresse, de l'attention. Souvenez que "faire l'amour", ce n'est pas baiser! Ce n'est pas utiliser le corps de l'autre pour son propre plaisir; mais travailler ensemble vers un plaisir commun.

 

 

 

B. La jouissance à sens unique

 

Dans les films pornographiques, la femme est perpétuellement disposée à satisfaire les désirs sexuels de son partenaire. L'inverse n'est jamais présenté; soit l'homme a envie, et il y a alors systématiquement rapport; soit il n'en a pas envie, et dans ce cas, aucune forme de sexualité n'est envisagée.

 

De plus, si la femme peut initier le rapport, elle n'en décide jamais la fin. L'éjaculation masculine clôt chaque rapport.Cette dernière est totalement indépendante de l'orgasme féminin, qui lui n'est pas recherché. La femme peut jouir; mais c'est à elle de trouver son plaisir au travers de celui pris par l'homme.

 

Cette éjaculation, depuis le début des années 90, est systématiquement montrée de façon externe, la plupart du temps, sur le visage ou les seins de l'actrice, au choix de l'homme.

L'effet visuel engendré peut être particulièrement excitant pour l'homme, pour qui la vue est un sens dominant en matière de sexualité. Mais les femmes, le plus souvent, n'y prennent pas de plaisir, ou simplement un plaisir indirect: celui de satisfaire un fantasme de leur compagnon.

Au delà de l'effet visuel, l'acte symbolise aussi une forme ultime de possession, par le marquage du corps de la femme.

 

Conseils aux dépendants

 

L'effet visuel engendré par une éjaculation externe, séduit surtout les hommes, pour lesquels la vue est un sens "sexuellement dominant". Mais les femmes, le plus souvent, n'y prennent qu'un plaisir modéré, voire uniquement indirect: celui de satisfaire un fantasme de leur compagnon.

Dans le monde réel, la majorité des femmes préfère que les hommes jouissent en elles. Tout simplement parce que cela est le prolongement logique de la pénétration. L'éjaculation externe peut être plaisante, mais si elle devient systématique, peut entraîner une frustration féminine, qui assimilent un rapport sans éjaculation interne, à un rapport incomplet. L'éjaculation interne est ressentie comme une forme d'accomplissement, aussi bien par l'homme que par la femme.

Aussi, si vous avez envie d'avoir recours à l'éjaculation externe, ne lu imposez pas; proposez-le. Si votre partenaire vous fait comprendre qu'elle préfère que vous jouissiez en elle, respectez son désir.

Enfin, souvenez-vous que ce n'est pas parce que vous avez joui, que votre partenaire n'a plus de désirs. Certains actes sont possibles après l'éjaculation, et votre partenaire appréciera sûrement que vous lui accordiez de l'attention après votre propre jouissance.

 

 

 

Dans la pornographie, le seul indice de plaisir de la femme, semble être les cris de l'actrice. Les actrices du X crient énormément. Pour les pornocrates, l'intensité sonore serait révélatrice du plaisir féminin. Car les cris de l'actrice sont proportionnels à la vigueur physique déployée par son partenaire masculin: plus l’actrice est secouée, plus elle crie. Et le cri est synonyme de plaisir. La femme aimerait donc qu'on la malmène, et ses cris sont autant d'encouragement pour l'homme.

 

Ne soyons pas dupes: il ne s'agit ici que d'une mise en scène visant à flatter la virilité du spectateur, via la démonstration des capacités physiques de l'acteur.

 

Conseils aux dépendants

 

Toutes les femmes ne crient pas pendant les rapports. Un certain nombre n'en éprouvent tout simplement pas l'envie, et expriment leur jouissance d'autres façons. Ce n'est pas parce que votre partenaire ne crie pas ou peu, qu'elle ne prend pas de plaisir.

Plutôt que vous focaliser sur son débit vocal, soyez attentif aux réactions du corps de votre partenaire, et à ce qu'il vous raconte. Chaque personne est différente, et peut avoir son propre chemin vers la jouissance. Apprenez à découvrir celui que vous propose d'emprunter votre partenaire, et n'essayez pas de copier à tout prix ce que vous impose la pornographie.

 

 

 

C. L'idée d'une virilité sans failles et sans faiblesses

 

Dans cette optique, la pornographie grand public ne montre jamais d'hommes sexuellement dominés. Si les scènes de lesbiennes sont récurrentes (de par leur potentiel excitant pour la population masculine, cible du porno), il n'y a jamais de scènes gays dans un film mainstream, car un rapport entre hommes suggère l'idée que l'un des deux soit passif. Le porno gay existe, évidemment, mais il fait l'objet d'une "niche spécifique" très clairement distinct du porno hétéro (films à part, revues à part, acteurs à part)

Il n'y a pas non plus de représentation de corps masculin sexuellement dominés par les femmes, que ce soit sous forme de rapports sado-masochistes ou de pénétrations anales. Ce type de représentations n'est disponible que dans les productions spécialisées hardcore, et sur certaines scénettes téléchargeables sur le Net.

 

Les pannes sexuelles sont également absentes de la pornographie. L'homme se définissant par son aptitude à la pénétration des orifices de la femme, sa virilité ne peut souffrir d'aucune baisse de régime. A l'exception d'une certaine pornographie amateur, la pornographie ne montre donc jamais le sexe masculin impuissant: la pénétration et l'éjaculation sont obligatoires, même dans les cas où l'érection est à peine suffisante.

 

Le porno ne montre pas non plus l'hésitation des amants. Dans le monde réel, deux partenaires, surtout s'ils se connaissent encore peu, seront plus ou moins timides l'un envers l'autre. La personne avec qui je suis aime-t-elle telle ou telle position? Si je prends les devant, ne va-t-elle pas me voir comme un pervers? etc.

Dans la pornographie, tout est codifié, calculé. Soit par le réalisateur, qui définit à l'avance les positions à faire et leur ordre; soit par l'expérience des acteurs, qui répètent inlassablement de plateau en plateau la même succession de figures imposées. Le sexe y est une affaire de professionnels. Même les amants des vidéos dites amateurs effacent au montage leurs moments d'hésitation.

 

Conseils aux dépendants

 

Comme tout le monde, les acteurs porno ont des "pannes". Mais la nature même de leur métier leur interdit d'avoir des pannes récurrentes. Un acteur sans érection ne pouvant tourner une scène, il retarde le tournage de tout le film, ce qui n'est pas sans avoir un certain coût. Aussi, pour pallier à toute insuffisance, les acteurs ont recours à différents subterfuges: solutions médicamenteuses (vasodilatateurs), drogue... Egalement, au montage, on coupe systématiquement les scènes "de plus faible intensité"...

 

Vous n'êtes pas un acteur porno. Vous avez donc le droit de ne pas être en forme, d'être fatigué. Vous avez le droit d'avoir des soucis, d'être perturbé, de ne pas "avoir la tête à ça"...

Vous n'êtes pas en train de passer un examen, mais en train de partager un moment de communion avec votre partenaire.

Ne vous mettez pas la pression. Les faiblesses, cela arrive, et cela fait partie du jeu. Si votre partenaire a de l'affection pour vous, elle acceptera sans problèmes une faiblesse passagère. Quant à vos hésitations, elles sont beaucoup plus révélatrices de votre désir de satisfaire l'autre, que de vouloir l'épater.

De même, ce n'est pas parce que vous n'avez pas cette fois-ci, une érection suffisante, qu'aucune forme de relation n'est possible. Il y a les caresses, les marques de tendresse... Certains actes ne nécessitent pas non plus de pénétration.

Enfin, si vos difficultés sont récurrentes, inutile de paniquer. Les pannes récurrentes sont souvent des syndrômes de votre dépendance: votre cerveau est tellement gavé de pornographie, qu'il n'arrive plus à se souvenir comment on fairt l'amour "dans le monde réel". Je vous invite à lire l'article "Comment se sortir de la pornodépendance", où une partie est consacrée à la question.

Et si malgré l'avancée du sevrage,vos difficultés persistaient, n'hésitez pas à un consulter un spécialiste médical !

 

 

 

II. UNE SEXUALITÉ VIOLENTE

 

A. La négation de toute forme de tendresse ou d'affectation

 

La pornographie n'exprime aucune tendresse, aucune forme d'affection. La mise en avant de rapports affectifs entre les participants est totalement proscrite. Dans le porno, les acteurs ne se caressent pas. Ils s'embrassent rarement avant les rapports. Ils ne manifestent pas non plus d'élan de tendresse après l'acte sexuel. Tout se passe dans une sorte d'entente cordiale entre parfaits étrangers.

 

D'ailleurs, dans la très très grande majorité des cas, les liens préexistants entre les personnages ne sont pas décrits. On se moque totalement de savoir pourquoi les participants en sont venus à faire l'amour. Ils sont là POUR faire l'amour, point barre. Le sexe est à la fois la raison et la finalité de leur rencontre; l'acte sexuel n'est pas constructeur de sens, il n'a aucune portée sociale. "Je ne te connaissais pas avant de coucher avec toi, tu ne prends pas plus d'importance dans ma vie après"

La pornographie proclame le triomphe du sexe vécu comme but et finalité. C'est pour cette raison que les scénarios des films pornographiques sont très souvent parfaitement ridicules: ils ne servent tout simplement à rien. Cela explique le succès actuel des films gonzo, exhibitions crues de scènes de sexe sans aucune forme d'habillage esthétique.

 

Conseils aux dépendants

 

La tendresse et l'affection sont primordiales lors des rapports sexuels. C'est précisément cela qui différencie "faire l'amour" et "baiser".

Redonnez leur sens premier aux préliminaires: celui d'actes visant à faire monter l'excitation. N'oubliez pas que vous pouvez vous même prendre du plasir lors de ces préliminaires.

N'oubliez pas non plus que le plaisir vient aussi de celui que l'on donne à son partenaire: j'aime faire l'amour pour moi, mais aussi pour elle. Soyez attentifs à vos demandes réciproques.

Enfin, souvenez-vous également que faire l'amour, cela ne s'arrête pas à la seule pénétration et à l'éjaculation. Les amants peuvent partager des moments complices et câlins après, tout comme avant et pendant.

 

 

 

TÉMOIGNAGES

 

Témoignage de Kara, femme dépendante, 22 mai 2015

"Je suis une jeune femme de 21 ans (...) tout le monde ignore mon addiction et personne ne la soupçonne même (...) Je pense que ce qui m'a vraiment fait prendre conscience de mon problème, c'est la réalité (...) J'ai compris que c'est pas parce qu'on regarde 20 000 vidéos sur le Net que l'on est une pro du sexe, loin de là. La vérité, c'est que, pardonnez-moi mon vocabulaire, je savais "baiser" mais je ne savais pas ce que c'était de "faire l'amour". La réalité n'avait rien à voir avec ce que j'imaginais"

 

Témoignage de Cha, compagne de dépendant, 9 avril 2016

"Nous avons très peu de relations sexuelles (une fois tous les mois) et ce n'est pas franchement génial... il ne fait pas l'amour, il baise, il n'a pas envie de moi il a envie de me "sauter""

 

Témoignage de Cel, compagne de dépendant, 21 janvier 2013
"Je me sens diminuée j'essaye de lui dire que moi je suis là qu'il peut me toucher aussi qu'il n'y a pas que moi qui doit le caresser, le masturber, que moi aussi j'ai envie d'un retour etc. (...) on ne fait plus l'amour on baise juste (...) il veut reproduire ce qu'il voit (...) je pense qu'il est conscient insconciemment qu'il n'est plus comme avant (...) il ne fait rien pour me prouver que je l'attire, c'est toujours moi qui vais au contact et il ne répond que par pénétration direct le sexe pour le sexe (...)"

 

Témoignage de Lili, compagne de dépendant, 8 avril 2010

"Je me rends compte que notre sexualité est très "copiée" sur ce qu'il voit sur les sites. Ce qui me gêne le plus et qui m'attriste, c'est qu'il ne fait plus l'amour mais qu'il baise. Il y a deux jours, je lui ai dit que j'avais envie d'une sexualité plus tendre, plus affective. J'ai pris les choses en main: caresses, baisers sur tout son corps sauf le sexe pour faire monter son désir et qu'on fasse l'amour. Au summum de son excitation, il me dit qu'il a envie de me baiser, de me retourner, de me prendre. J'avais envie de pleurer."

 

Source : Témoignages issus du forum du www.pornodependance.com

 

 

 

B. Les acrobaties du porno conventionnel

 

Le principe même de la pornographie est d'exhiber les corps. Or, ces derniers, lors des rapports sexuels conventionnels, sont souvent collés l'un à l'autre. Ce qui laisse très peu de place à la caméra.

C'est pour cette raison que, dans les films pornographiques, on privilégie les positions offrant les meilleurs angles de vue, au détriment d’autres jugées peu photogéniques, mais pourtant beaucoup plus proched de notre sexualité quotidienne.

 

Par exemple, la position classique du missionnaire, avec l'homme allongé au-dessus de la femme, présente peu d’intérêt pour un tournage. En effet, elle ne permet ni de voir le sexe ou les fesses de la femme, ni clairement celui de l’homme, plaqué contre le corps de la femme. Les seins et les fesses sont également difficiles à voir.

Une telle position va donc devoir être adaptée : les actrices relèvent leurs jambes, ou en mettent une en perpendiculaire de leurs hanches, afin de pouvoir permette au caméra de filmer leur sexe. Dans cette même optique, l’homme se tient à la perpendiculaire, la caméra s'immiscant dans l'angle de vue laissé libre.

 

A l’inverse, les scènes de levrette (femme à quatre pattes et homme derrière) sont très courues, car elles offrent un bon résultat visuel. Mais là aussi, une variante est souvent utilisée : on demande à l’homme d’écarter une jambe pour que la caméra puisse filmer la pénétration (C).

 

La caméra doit pouvoir s’infiltrer partout : au dessus des corps, derrière les épaules, en dessous… les corps doivent pouvoir en permanence exhiber les fesses, les seins, les sexes. Dans cette optique, le confort des acteurs est extrêmement secondaire! Afin d’obtenir la meilleure image, de nombreuses positions relèvent plus des jeux du cirque, que de ceux de l’amour.

 

« Une des positions idéales, c’est lorsque la fille est plantée sur un homme allongé, face caméra, on voit tout (…) Mais ce n’est pas une position de plaisir, la fille a trop mal aux cuisses. Les positions qu’on est obligé de prendre pour rendre spectaculaire une pénétration enlèvent souvent toute sensation agréable. Par exemple, pour que la caméra puisse filmer en gros plan une pénétration, il faut que la fille soit cambrée au maximum et que le garçon s’introduise en elle de haut en bas pour permettre à la caméra de filmer l’accouplement par-dessous. D’où des positions acrobatiques ! » (C)

 

Les positions de la pornographie sont donc tout sauf naturelles. Le plaisir, le confort des acteurs cède le pas face aux contraintes imposées par la technique.

 

C. La douleur de certaines positions

 

Ces postures acrobatiques sont souvent synonymes de douleurs. Les acteurs, et surtout les actrices, forcent les poses, les cambrures. Le corps forcé souffre.

 

Ariel Levy rapporte à ce titre le témoignage d'Alex Arden, ancienne mannequin pour le magasine de charme américain Penthouse: "Quand vous vous mettez dans la véritable position du contorsionniste, que vous avez à tenir et que votre dos vous fait mal et que vous devrez rentrer votre ventre, que vous devez faire ressortir vos hanches, que vous devez cambrer votre dos et faire ressortir votre cul en même temps et rentrer et tenir votre poitrine, vous ne vous sentez pas sexy. Vous souffrez. Et vous sentez que vous voulez tuer [le photographe] » (D)

 

Le photographe de nu Earl Miller, pour sa part, déclare : « Notre boulot est d’aller au-delà et de les ramener vivants ou morts ou qu’importe… nous devons avoir la photo ». La reine du porno Jenna Jameson fait écho au sentiment d’Arden lorsqu’elle écrit, à propos de ses premières séances photo pour des magazines masculins hétérosexuels : « Je devais tellement me cambrer que le bas de mon dos céda. Quand je vois ces photos aujourd’hui, il semble évident que la moue sexy que je pensais avoir offerte à l’objectif était juste une pauvre grimace de douleur déguisée ». (D)

 

 

Conseils aux dépendants

 

En tant que dépendant, vous avez sans doute envie de reproduire coûte que coûte ce que vous voyez dans les films. Mais pourquoi? Pour quelles raisons? Qu'essayez-vous de (vous) prouver ?

Encore une fois, ce qui compte, c'est le plaisir que vous allez partager. Et le plaisir est beaucoup plus grand dans les positions confortables, que dans cet alignement de postures invraisemblables que vous présente une certaine pornographie. La souffrance, la douleur, ne sont pas naturelles dans la pornographie.

 

 

 

D. La barbarie des productions spécialisées hardcore

 

« Il y a des gens qui pourraient faire n’importe quoi aux filles! »

Ovidie, ancienne actrice et réalisatrice de films pornographiques, dans "Une vie classée X", documentaire de Mireille Dumas (E)

 

La violence physique, dans les productions X grand public, reste relativement contenue, pour principalement deux raisons:

- ces films sont prévus pour être aussi diffusés à la télévision sur des chaînes spécialisées (par exemple en France la chaîne XXL) ou sur des chaînes grand public mais sur des créneaux restreints (Canal + en France). Ces dernières suivent un cahier des charges précis, qui leur interdit de montrer trop de violence à l'écran. Certaines pratiques, notamment la zoophilie et la scatophilie, n'ont pas le droit de cité.

- ces films veulent garder un public le plus large possible. Les réalisateurs doivent pour cela proposer un produit massivement consommable et substituable, toute innovation sortant des sentiers battus du X mainstream risquant d'entraîner une perte d'audience.

 

Mais les productions du hardcore n'ont pas ce genre d'embarras. Tout simplement parce que ces films n'ont pas vocation à de glorieuses carrières commerciales. La plupart d'entre eux ne rapporteront pas grand chose, voire rien, et seront massivement distribués gratuitement sur le Net (canaux légaux et illégaux). Les actrices, vaste foule anonyme, n'iront jamais se plaindre. Tout est montrable. Et c'est souvent le pire qui est montré.

 

Schématiquement, ces films peuvent imposer au spectateur:

- des scènes de "bourrinage". Les hommes s'enchaînent sur une seule et même actrice, qui a à peine le temps de reprendre son souffle. Celle-ci est alors malmenée dans tous les sens. Dans de nombreuses scènes, elle peut à peine bouger: elle est un jouet entre les mains des acteurs.

- des scènes d'insertion d'objets. Au-delà des sextoys, tout objet du quotidien peut se voir utiliser à cette fin dans les productions hardcore. Plus c'est gros et mieux c'est. Ces scènes se tournent le plus souvent sans aucune préparation physique des actrices qui retiennent leurs larmes de douleur.

- des scènes de zoophilie, scatophilie, urophilie.

- des scènes de viols, ou de simulation de viols (voir plus bas)

- des mises en scènes de fausses exécutions (simulation de snuff movies)

 

Dans les productions grand public, les positions sont souvent définies à l'avance, souvent par le réalisateur. Mais dans les productions hardcore, les choses sont beaucoup plus improvisées. Une fois le tournage commencé, l'homme décide, et la femme suit. Ses propres limites sont niées. Au contraire: la souffrance féminine est expressément recherchée, le discours hardcore assimilant la souffrance au plaisir.

 

Le journaliste Frédéric JOIGNOT cite sa découverte sur le Net d'un film du nom de Throat Gagger (soit, littéralement, "qui fait vomir la gorge"), pioché parmi la multitude sur Internet. Il y démontre clairement que la cruauté du rapport, dépasse largement ce à quoi l'actrice avait consenti:

 

"Sur l'écran arrive Natacha, une jolie fille pâle et élancée. Elle tombe à genoux sur le carrelage devant un homme ventripotent en chaussettes, dont on ne verra jamais le visage. Aussitôt le type l'aggrippe par les cheveux, lui ouvre la bouche à 5 doigts, lui crache dedans en gueulant "Bitch!" (salope!). La jeune femme sursaute, c'est visiblement une mauvaise surprise. Son nez s’écrase contre le ventre du type.(...) Le mec lui écrase le visage, l’empêchant de se dégager, et se remet à lui tamponner le fond de la gorge. Cela fait de drôles de bruit, genre dégorgement de siphon. Natacha étouffe, elle a un spasme de rejet, elle a l’air de vomir. Cette image, je sais qu’elle sera difficile à oublier (...)De la peur certainement au creux de son regard, dans ses gestes affolés pour s’essuyer. J’ai la sensation de me retrouver en situation de non-assistance à personne en danger. C’est comme voir un viol sur un écran (...) Natacha étouffe, ses yeux virent au blanc, elle s'écarte, agitée de soubresauts. Sa convulsion, ses contorsions ont été coupées au montage. C'est à peine si le spectateur a eu le temps d'apercevoir le vomissement. Natacha ne joue pas la violence, elle encaisse.

 

"Quatre jeunes types masqués entreprennent une jeune femme (...) La fille joue le jeu. Un des types sort une batte de base-ball, et entreprend de l'enfoncer dans le sexe de la femme. Son copain l'aide, tandis que les deux derniers gars masqués baisent rudement la jeune femme en "gorge profonde". L'actrice, qui jouait les effarouchées consentantes, ses mouvements de fuites, ses soubresauts montrent bien qu'elle supporte mal ces violences - difficile de savoir si elle joue encore. Nous avons glissé, semble-t-il, d'un gang bang rude, à un acte forcé (...) La femme se débat. La scène dure (...) Quand le gars enlève la batte, le bois accroche le muscle, ça passe mal. Impossible qu'il n'y ait pas de dégâts physiques. La fille savait-elle ce qui l'attendait? A-t-elle consenti à l'usage de la batte de baseball? Y'a-t-il-eu des menaces? A-t-elle été forcée?" (F)

 

Dans toutes ces scènes, il est entendu que la femme tire son plaisir de la violence et la souffrance qu'on lui fait souffrir. Les productions spécialisées font donc encore plus loin dans le sordide: le plaisir ne vient plus uniquement de la domination de la femme, mais aussi de sa souffrance. Il y a ici le développement d'un véritable sadisme.

 

 

Conseils aux dépendants

 

Le pornodépendant a, de façon plus ou moins consciente, intégré cette représentation de la sexualité. Une partie de lui croit qu'il doit se comporter de façon violente avec les femmes. Ce qui génère un véritable dédoublement de la personnalité du dépendant: d'un côté, il respecte la personne avec qui il s'apprête à avoir des relations sexuelles. Mais de l'autre, il se sent capable de faire souffrir cette personne. Il refuse ce sentiment d'être un monstre, un pervers, ce qui est mentalement très douloureux.

Mais vous savez combien tout cela est faux. Personne n'aime souffrir.

Certains pratiquent bien une sexualité sado-masochiste, mais cette dernière est codifiée, préparée, ritualisée. Les corps sont préparés. Rien à voir avec la barbarie des productions hardcore.

Respectez le corps de votre partenaire. Si cette dernière manifeste de la douleur, arrêtez ce que vous êtes en train de faire. Il n'y a aucun plaisir derrière la douleur. Il y a beaucoup d'autres positions possibles, où vous saurez trouver tous deux votre plaisir.

 

 

 

III. L'APOLOGIE DU VIOL ENTRAÎNE SON ACCEPTATION

 

A. La pornographie représente des scènes de viol

 

Les horreurs des productions spécialisées hardcore...

 

Une recherche sur Google, avec comme mots clé "rape film" le 11 août 2019, aboutit à 235 000 000 de résultats; la même recherche le même jour avec "rape movie" propose 236 000 000 de réponses. En mai 2010, ces mêmes recherches aboutissait à 17 000 000 de réponses pour "rape film" et 6 200 000 propositions pour 'rape movie". Soit une augmentation de plus de 2 000% ! Le film de viol est bien devenu un genre très prisé par la pornographie contemporaine.

 

Certains sites se sont même spécialisés dans ce type de contenu. Les megasites et les thumbsites, sortes de gigantesques annuaires du X, proposent généralement une rubrique "sexualité choc", ou "sexualité hard", euphémisme pour cacher souvent des liens vers des vidéos de viols.

 

Dans la grande majorité des cas, en fait de véritables viols, ces films sont le plus souvent des mises en scène ultra-violentes de fantasmes de viol. Les actrices sont consentantes, mais les personnages qu'elles incarnent, eux, sont bien violés.

 

L'industrie du X a cependant déjà été bien secouée par des affaires de viols bien réels, filmés et diffusés. En 2015, l'acteur porno américain James Deen a été accusé par une dizaine d'actrices pornographiques de viols sur les plateaux de tournage. Fin 2016, l'actrice Nikki Benze a porté plainte contre un acteur et un réalisateur de Brazzers, très gros studio américain, avec avoir subi des violences non sollicitées lors d'une scène. Ces affaires ont en commun que les acteurs ont littéralement été au-delà de ce que à quoi les actrices avaient consenti, malgré la réprobation affirmée de ces dernières.

 

 

Pour le cerveau du consommateur, vrai ou faux viol, l'excitation ressentie est identique.

Depuis longue date, on sait que l'inconscient assimile de façon similaire, les émotions créées par la réalité, et la fiction. On le sait grâce aux études sur la violence à la télévision, ou sur la publicité. Pourquoi cela en serait-il autrement, avec les programmes à caractère sexuel?

Le cerveau assimile que l'excitation peut provenir de l'agression physique des femmes. Le consommateur sait que ce qu'il voit est une simulation; mais dans son cerveau, l'excitation provient bien du fait de voir une femme forcée à avoir des rapports.

 

D'autant plus que dans ces films, c'est bien l'authenticité dans la représentation du viol qui est recherché. A aucun moment, on ne fait croire au spectateur qu'il s'agit bien d'un jeu. Le viol joué que je vois à l'écran, a été pensé pour être le plus réaliste possible. L'actrice est réellement maltraitée devant mes yeux.

De surcroît, ces films ne représentent généralement que l'acte lui-même: les conséquences morales et légales ne sont pas diffusées. Le viol n'y est pas présenté comme un acte grave, mais comme une forme de sexualité.

 

Pire, dans la plupart des ces films, un argumentaire pro-viol est développé en arrière-plan. Deux types de scénarios sont dominants:

- le "viol-punition": les femmes qui sont violées le sont souvent "parce qu'elles l'ont recherché": il peut s'agir de jeunes femmes à la sexualité trop légères, d'imprudentes s'étant perdues dans les bras, d'infidèles à punir... L'idée est immonde: la femme serait violée, "parce qu'elle le mérite". Le viol cesse d'être un crime, pour être lu comme un simple châtiment.

- le "viol-minoré". Beaucoup de jaquettes pour ces films prétendent que le viol n'est pas un acte aussi dramatique qu'on voudrait bien le croire. Il ne s'agit après tout que d'actes sexuels, certes forcés, mais soi-disant capables d'entraîner du plaisir chez leur victime. Autre idée immonde: violer une femme, ce n'est plus vraiment la violer, si elle prend du plaisir.Un argumentaire que l'on retrouve dans la défense de nombreux agresseurs sexuels.

 

Une personne avec une sexualité équilibrée arrivera à décoder la supercherie. Elle se souviendra de la portée morale et sociale d'un tel acte. Mais le dépendant ou le frustré, lui, se laissera séduire par ce dangereux cocktail de plaisir, de viol et de violence. Il deviendra convaincu que le viol est une forme de sexualité. La dimension morale de l'acte, ainsi que ses conséquences légales, sont effacées de son esprit, tout comme elles sont absentes de la pornographie.

De longue date, on sait que la pornographie est présente dans la vie des délinquants sexuels. Les forces de l'ordre retrouvent systématiquement des films ou des revues X, au domicile des délinquants sexuels. Beaucoup expliquent avoir d'ailleurs voulu faire "comme dans les films"

 

... mais aussi dans les productions grand public

 

Contrairement à une idée reçue, les productions grand public se sont aussi complues, dans les années 90, à montrer des scènes de viol dans leurs films, mais sous l'éternel alibi de l'art cinématographique. Ainsi, là où les productions spécialisées hardcore se plaisent à montrer la cruauté et le sordide, les productions grand public aimaient habiller les scènes de viol dans de beaux décors.

 

Par exemple:

Chez Dorcel, un des réalisateurs vedettes de la maison filme une star du milieu de 22 ans, violée par trois inconnus qui la laissent avec le visage couvert de bleus. La présence du dit viol est d'ailleurs un des arguments chocs du catalogue Dorcel, pour inciter à l'achat.

Chez Dorcel toujours, dans un autre film, on suit les aventures d'un kidnappeur en série, séquestrant et violant ses victimes.

Chez Colmax, sous couvert de réaliser un film d'auteur avec un réalisateur en vogue, on humilie, bafoue et abuse du corps de deux actrices.

Chez JTC Vidéo, un gang de violeurs en série force les jeunes femmes dans les grands hôtels parisiens, en les menaçant avec une arme.

 

Patrick BAUDRY cite l'interview réalisée par le magazine américain Extrême, du réalisateur Marco Salieri, faisant la promotion de son dernier film: "Léa Martini [NDR: l'actrice principale du film], éclatante d'innocence, et de sensualité, est prise en levrette à son corps défendant dans sa propre mère par un Valentino décidémment démoniaque" (G)

Patrick BAUDRY citait quant à lui la jaquette du film Sacrée Poupée, évoquant des "poursuites en voiture, viol, orgasmes démesurés, jeux lesbiens, enivrante partouze, sexes énormes, merveilleuses sodomies" (G)

 

"Le Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, en 1984, citait cette édifiante présentation d'un film pornographique, fait par le magasin Hustler en 1983: "Lorsque je souris, j'avais sur les lèvres le goût de son rouge à lèvres fraise. Sous mes coups redoublés, ses tétons bataient joyeusement. M’étant coupé au doigt en prenant le canif à appât dans la poche arrière, je me mis à jurer. Les yeux de la fille s'emplirent à nouveau d'une délicieuse terreur. Le viol avait été agréable, mais le meilleur était encore à venir". (Hustler, vol. 9, no12, 1983, p5657, dans Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes, 1984, p.1326)

 

Il s'agit encore et toujours de scènes de viol, et le message envoyé au cerveau est le même: les femmes aimeraient qu'on les violente. La même nausée donc, mais dans un plus joli emballage.

 

La dérive était évidente. La pornographie aime représenter une sexualité violente, et cherche en permanence à aller toujours plus loin dans le hard.

 

Toutes ces productions ont été réalisées par des studios connus, avec parfois des acteurs et actrices reconnus. Mais depuis le début des années 2000, et la médiatisation des affaires de tournante, les grands noms du X évitent soigneusement ce type de représentation. Beaucoup n'aimeraient pas avoir à s'étendre sur le lien entre pornographie et criminalité. Egalement, les "esthètes" de la pornographie, qui aiment qu'on attribue à leurs productions une dimension artistique, n'ont nullement envie qu'on les assimile à l'abattage en série des corps diffusé sur le Net.

 

Aussi, ceux qui se risquent encore à représenter des viols à l'écran, les dépeignent comme des fantasmes, des jeux:

- soit le viol est présenté comme un fantasme du personnage féminin, que l'on voit alors mettre en scène le fantasme;

- soit le film inclue un "ressort", visant à dédramatiser l'action, et à rappeler que tout se fait sous le sceau du consentement, de la connivence entre acteurs

 

Cela légitime-t-il la représentation d'un viol? Non, absolument pas! L'intensité de l'acte, qu'il soit réel, feint, ou présenté commé étant feint, est la même. Il s'agit encore et toujours de montrer que du plaisir se trouve dans l'agression sexuelle des femmes.

 

Pourquoi cet intérêt pour les scènes de viols et de violence ?

 

Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer cet attrait pour les scènes de viol

- les hommes ont une approche de la sexualité, plus agressive que celle des femmes. Derrière l'idée de virilité, se cache souvent celle de la domination, à laquelle la pornographie associe l'idée de violence. L'idée de viol suit l'idée de violence.

- le viol est un interdit légal et social. Au-delà de l'expression d'une certaine frustration sexuelle, nombre de violeurs reconnaissaient être excités à l'idée de commettre un acte interdit.

- les images à caractère sexuel, et les images à caractère violent, sont celles qui pénètrent le plus profondément l'esprit. Le viol associe les deux.

- le viol serait l'un des derniers territoires à conquérir du X. Ces vingt dernières années, le hard a progressé à une vitesse phénoménale, si bien qu'il est désormais possible de tout montrer. Avec la pédophilie, le viol est un des derniers interdits. L'un des derniers territoires à conquérir. La différence étant que toute exhibition pédophile ou incitation à la pédophilie étant interdits.

 

B. Des expériences scientifiques probantes

 

"Lorsqu’on parle de l’attitude des hommes envers la pornographie, il faut immédiatement souligner qu’à l’hiver de 1984, mon groupe d’étudiants a décidé de visionner un film pornographique. Les hommes n’ont pas remarqué les trois viols qui ponctuaient le film, parce que la femme finissait par jouir : ce n’était plus un viol pour eux." (H)

 

Les différentes expériences scientifiques menées convergent vers un même point: l'exposition continue à des scènes de violence sexuelle, et en particulier à des scènes de viol, augmentent la tolérance vis à vis de ces viols.

 

L'expérience de Zillman (1974)

 

En 1974, le chercheur Rolf Zillman réunit 63 étudiants masculins. Chacun d'entre eux est, préalablement à l'expérience, agressé verbalement, de façon à être mis en colère. L'idée étant ainsi de prédisposer les participants à l'agression. Puis, les sujets sont divisés en trois groupes.

- le premier groupe visionne un documentaire sur les voyages de Marco Polo.

- le deuxième groupe visionne Body and Soul, un film sur un match de boxe.

- le troisième visionne The Couch, un film érotique.

Après l'expérience, il est laissé l'opportunité à chaque participant d'administrer des chocs électriques à l'individu qui les avait agressé au début de l'expérience, ainsi que de choisir l'intensité des décharges.

En comparant les intensités, Zillman s'est aperçu que le groupe exposé au film The Couch attribuait les décharges les plus violentes, suivi d'assez loin par ceux ayant visionné Body and Soul (H)

 

Il en déduisit que l'exposition à un film érotique, entraînait une augmentation de l'agressivité.

Est-il utile de préciser que ce que nous appellions "érotique" en 1974, n'a plus rien à voir avec la débauche des années 2000 et 2010?

 

L'expérience de Jaffe, Malamuth, Feingold et Feshbach (1977)

 

En 1977, les chercheurs Jaffe, Malamuth, Feingold et Feshbach reprenaient l'expérience, en incorporant cette fois des sujets masculins et féminins. Leurs résultats ne se contentent pas de confirmer ceux de Zillmann. Lles quatre scientifiques se rendent compte en effet que:

- les chocs donnés par les hommes sont plus violents que ceux donnés par les femmes.

- les participants donnent des chocs plus violents, envers les cibles du sexe opposé (H)

 

Jaffe, Malamuth, Feingold et Feshbach, mettent ainsi en avant une propension des hommes à devenir agressifs suite à l'exposition à un film porno, et à vouloir déporter cette agressivité sur le sexe opposé. Ils lient ainsi pornographie et agressivité sexuelle.

 

L'expérience de Malamuth, Haber et Feshbach (1980)

 

Les participants de cette nouvelle étude se voient présenter un récit sadomasochiste, tiré de la revue pornographique Penthouse. Ce texte parle notamment d'une victime qui finit par jouir de ses violences et de son viol.

Les participants sont divisés en deux groupes:

- le premier groupe est exposé à la version non censurée du texte

- le deuxième groupe n'est exposé qu'à une version adoucie du texte, où les passages violents ont été enlevés.

 

Enfin, les sujets (hommes et femmes) écoutent un des deux récits du viol, raconté par une femme. Leur taux d'excitation est mesuré. Il leur est ensuite proposé de prononcer une sentence pour le violeur décrit par le texte.

Tout au long de l'expérience, les sujets sont soumis à des questionnaires, visant à connaître leur positionnement vis à vis de la violence sexuelle sur les femmes.

 

- les hommes exposés initialement à la version hard du texte, sont plus sévères envers le violeur que ceux qui on lu la version non violente. Cependant, ces derniers ont connu une excitation sexuelle plus forte que les autres.

- les hommes exposés au récit de viol, sans violence, prononcent des peines plus clémentes, et ressentent une excitation sexuelle moindre.

- les femmes sont moins enclines que les hommes à penser que la femme du récit a pu ressentir le plaisir.

- Les hommes sont 25% à affirmer que certaines femmes ressentiraient du plaisir à la place de la violée, tandis qu'aucune des femmes n'a déclaré être capable de ressentir du plaisir dans une telle situation.

- 50% des sujets sont convaincus que les hommes violeraient, s'ils avaient l'assurance qu'ils étaient certains de ne pas être vus ou punis. La moitié des sujets hommes n'ont d'ailleurs pas rejeté l'idée, qu'ils puissent un jour violer une femme, avec cette même garantie. (H)

 

L'expérience a démontré trois points essentiels:

- l'exposition à une scène de viol a un caractère hautement excitant pour les hommes. Cette excitation est proportionnelle à la violence démontrée.

- l'exposition à une scène de viol atténue la dimension morale de la scène. Le viol perd sa dimension montrueuse. Seule la barrière légale semble empêcher un nombre important d'hommes de passer à l'acte

- la présentation du viol comme dénué de violence, ou excitant pour la femme, déresponsabilise le violeur. Il n'est plus alors déviant: la prise de plaisir de la victime le rendrait légitime.

 

Il s'agit là de l'un des postulats les plus immondes de la pornographie: si une femme prend du plaisir pendant un viol, alors le viol perd sa dimension criminelle et immorale. Cette défense est très fréquemment adoptée par les agresseurs sexuels, qui affirment, soit que leurs victimes ont eu du plaisir; soit n'avoir cherché qu'à donner du plaisir à leurs victimes.

Richard Poulain citait à ce titre une interview, réalisée avec un condamné pour crime sexuel: "Je me souviens que dans ces romans à sensation [NDR: les romans lus par le criminel], il semblait toujours y avoir une scène de viol, et pendant le viol, la femme finissait toujours par avoir envie elle aussi. Pendant que je violais une femme, je souhaitais toujours que ce soit ça qui arrive" (H)

 

L'expérience de Zillmann et Bryant (1984)

 

En 1984, Rolf Zillmann et Jennings Bryant, deux chercheurs américains, ont réuni 160 étudiants de l'Université d'Alabama (80 hommes et autant de femmes).

 

Ils sont exposés pendant six semaines à des projections cinématographiques de 50 minutes. Les participants sont divisés en quatre groupes, selon la nature des images qu'on leur projettait.

- le premier groupe ne visionne que des films pornographiques.

- le deuxième groupe visionne un mélange de films X et de films grand public.

- le troisième groupe ne visionne que des films grand public.

- le quatrième groupe ne visionne aucun film.

 

Trois semaines après l'exposition, les chercheurs interrogent les participants sur leurs croyances et attitudes envers les femmes et notamment, sur les peines à appliquer à un violeur avéré.

Les résultats sont édifiants: les individus les plus exposés aux films pornographiques, font preuve d'une clémence beaucoup plus prononcée pour le violeurs. Ainsi, les hommes exposés uniquement aux films X préconisent une peine de 4 ans de prison en moyenne (7 ans pour les femmes), tandis que ceux qui n'ont pas été exposés proposent une peine de 8 ans (10 ans pour les femmes)

L'atténuation des peines est observée aussi bien chez les hommes que chez les femmes, ces dernières proposant des peines plus élevées.

 

 

 

La dépendance pornographique se déroule en quatre étapes: la recherche, l'exposition, le manque, le dégoût, puis le retour à la recherche, etc. Mais de plus en plus de dépendants en viennent à une cinquième étape: le passage à l'acte.

Bien sûr, tous les dépendants ne sont pas des violeurs en puissance. Par passage à l'acte, il faut comprendre, dans la très grande majorité des cas, des relations extraconjuguales, ou à un recours fréquent à des services de prostitution ou d'escort, ou bien encore à la fréquentation assidue de liveshows (échanges sexuels à distance, combinant tchat et webcam).

 

Mais le passage à l'acte prend parfois la forme d'une agression sexuelle. Les expériences précédemment décrites, ont parfaitement démontré le lien existant entre la démonstration d'une violence sexuelle, et la concrétisation de cette violence. On sait que chez tous les agresseurs sexuels, il y a de la consommation de pornographie.

 

En tant que dépendant, vous vous sentez déjà attiré par une forme de sexualité violente. Vous avez peut être déjà fantasmé avoir des rapports forcés avec la passante de la rue. Et vous avez peut être peur de ne pas réussir à vous tenir. Comme si vous aviez en vous une sorte de "bombe" que vous deviez en permanence contenir.

Vous n'êtes pas un monstre, mais vous devez vous soigner. En vous sevrant, vous apprendrez d'abord à mieux maîtriser vos pulsions, puis à les réorienter vers quelque chose de beaucoup plus sain. Vous cesserez de fantasmer sur l'idée de rapports violents. Et vous vous sentirez beaucoup mieux dans votre peau.

Je vous invite à consulter la page "Comment se sortir de la pornodépendance", qui vous apprendra plus de choses à ce titre.

 

 

 

C. La déconsidération du viol dans nos sociétés

 

La dangereuse négation de la gravité du viol dans notre société

 

"Les scènes de violence sexuelle vues à la télévision peuvent conduire à une banalisation du viol. Aujourd'hui, il arrive souvent qu'un violeur s'étonne, lors d'un interrogatoire, du fait que le viol soit puni par la loi."

Témoignage d'un policier de la Brigade des Stupéfiants et du Proxénétisme, en 1988 (I)

 

 

En France, les longues années de lutte féministe, pour les conquêtes du droit, ont permis la classification du viol comme crime en 1980. Auparavant, il n'était qu'un simple délit, tout comme le vol à l'étalage par exemple.

C'est bien le caractère profondément abject de l'acte qui avait permis cette avancée judiciaire.

Mais aujourd'hui, la banalisation des représentations de viols rend indifférent à l'acte, qui se retrouve vidé de toute sa dimension morale.

 

La pornographie, expliquant qu'on a le droit d'être excité par ce genre de scènes, a sa part de responsabilité.

Les films conventionnels et les séries télévisées, qui exhibent à tour de bras des scènes de viols parce qu'elles font monter l'audimat, ont aussi leur responsabilité.

 

Il a également clairement ici une lacune du législateur, qui autorise la représentation ludique de scènes de violences sexuelles. Il est malheureusement légal en France, de posséder sur son disque dur des scènes représentant des viols simulés; alors que l'article 227-24 du Code Pénal punit, à juste titre, la simple possession de matériel pédopornographique.

 

 

L'intériorisation du discours pornographique pro-viol par les adolescents

 

Au début des années 2000, les sociologues Michela Marzano et Claude Rozier ont interviewé un grand nombre de jeunes quant à leur consommation de pornographie, et sur leurs représentations des femmes (J).

Dans leurs discours, les jeunes hommes consommateurs de pornographie, adoptent des postures très laxistes vis à vis des agressions sexuelles, et plus particulièrement des tournantes:

- "la fille peut être victime comme elle peut être ravie... Des fois y'a des filles qui adorent faire des tournantes. Je pense pas que j'en connais. Je l'ai pas vu de mes propres yeux, mais j'ai entendu des trucs comme ça, quoi!" (Yaël, 16 ans, consommateur assumé de pornographie depuis l'âge de 14 ans)

- "les filles, souvent, changent d’idée lorsqu’on commence à critiquer leur attitude [de filles faciles] et préfèrent alors se faire passer pour des victimes (...) Si les filles avaient un petit peu d’autorité, je pense qu’il n’y aurait pas de tournantes. (Yasser) (J)

 

Yaël et Yasser déresponsabilisent les auteurs de tournantes, par le recours à de vieux poncifs pornographiques. Yaël est convaincu que les filles qui subissent des viols collectifs, aiment "quelque part" cela (cliché du viol minoré), tandis que chez Yasser, les agressions sont les conséquences des attitudes "de filles faciles" (cliché du viol punition).

 

Ces idées nauséabondes sont également reprises par une partie des adolescentes féminines, obligées bien malgré elle d'intérioriser ces discours:

-"Brigitte nous explique alors que les garçons sont sans doute responsables des violences sexuelles perpétrées contre les femmes, mais que c’est aussi parce qu’ils trouvent des victimes consentantes chez les filles trop naïves.

- Comment t’expliques tu alors la violence qu’on retrouve parfois dans les cités vis-à-vis des filles qui sont violées ?
- Je crois qu’elles le cherchent quand même, d’un côté. Une fille qui se fait violer a dû montrer à ces garçons qu’elle était une fille facile.
- C’est donc aux filles de faire attention ?
- Pour les garçons, les filles d’aujourd’hui sont toutes des «salopes ». Pour eux, on est toutes comme ça. C’est à chacune de montrer comme elle est, de faire ses preuves…"
(J)

 

Yaël, Yasser et Brigitte n'ont pas le recul nécessaire pour comprendre la gravité de leur discours. Ils ne font que reprendre sans réflexions supplémentaires, les poncifs de la pornographie. Ils subissent la pornographie: cette dernière est leur unique école de la sexualité.

 

Parents, il est vital d'apporter à vos ados un discours correctif . Faites leur comprendre que ce qu'ils voient, n'est que du cinéma, des représentations caricaturées à outrance. Vos enfants sont tout à fait capables de faire preuve d'esprit critique... si on leur en donne les moyens. Je vous invite, pour plus d'informations à ce titre, à lire l'article "Aborder la question de la pornographie avec un adolescent"

 

AFREG - 2ème version de l'article - décembre 2019.

 

Citations:

A. A multinational population survey of intravaginal ejaculation latency time, Waldinger MD1, Quinn P, Dilleen M, Mundayat R, Schweitzer DH, Boolell M, US National Library of Medicine National Institutes of Health, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16422843

B. La nouvelle guerre du sexe,Elisabeth Weissmann, Stock, Les Documents, 2008

C. Le concensus pornographique, Xavier Deleu, Mango, 2002

D. Les Nouvelles Salopes: la femme et l'essor de la culture porno, Ariel Levy, Editions de Tournon, 2005

E. Une vie classée X - Etat des lieux du porno français, documentaire de Mireille Dumas, 2006

F. Gang bang. Enquête sur la pornographie de la démolition, par Frédéric Joignot, Editions Seuil, janvier 2007.

(G) La pornographie et ses images, Patrick Baudry, Pocket, 2001

(H) La Violence pornographique, par Richard Poulin. Troisième partie : Les effets de la consommation. Chapitre VI : La violence sexuelle. Editions Cabédita, Collections Archives Vivantes.

(I) Le Point, magazine, 24 octobre 1988

(J) Alice au pays du porno. Ados: leurs nouveaux imaginaires sexuels. Michela Marzano et Claude Rozier, Editions Ramsay, Questions de Familles, 2005.

 

 

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